Notre histoire La pêche au canular vient de loin
Dès ses débuts en 1879, «La Tribune de Genève» a rempli ses entrefilets de joyeux poissons d’avril.

Le premier poisson d’avril cité dans «La Tribune de Genève» est italien. Ce 1er avril 1879, année de la fondation de notre journal, un journaliste rappelle que l’année précédente, de nombreux Florentins s’étaient rendus à 5 heures du matin dans le parc des Cascine pour y voir brûler le corps d’un prince indien dont la «Gazetta d’Italia» avait annoncé l’arrivée, puis la mort et enfin l’autodafé. Ils s’étaient levés pour rien. Cinq ans plus tard, ce sont les Bernois qui se font berner. «Une de nos feuilles locales avait annoncé qu’un monsieur s’élèverait dans les airs à 1 heure de l’après-midi au moyen d’ailes mécaniques», rapporte «La Tribune» du 5 avril 1884. Ce phénomène devait traverser l’Aar sans emprunter le pont de Kirchenfeld. «Ce poisson d’avril, en dépit de son air de canard, a été consciencieusement avalé par les badauds qui n’ont pas manqué au rendez-vous.»
Jeune et fringante en 1886, la Julie se sent prête à risquer une savante explication: « Le 1er avril a été, comme d’habitude, le jour de ce fameux poisson, cause innocente de tant de surprises, de courses inutiles, de mystifications. D’où vient cet usage des attrapes réciproques? Il y a deux, trois réponses. C’est, disent les uns, une allusion à la pêche qui, en certains pays, s’ouvre le 1er avril ; comme le pêcheur ne prend rien à ce moment, un poisson d’avril sera l’emblème de quelque chose d’insaisissable . De là les mystifications du premier jour d’avril. D’autres prétendent que l’usage remonte au temps de Charles IX, lequel rendit, en 1564, une ordonnance qui fixait au 1er janvier le premier jour de l’année, qui jusqu’alors avait commencé au 1er avril. Par suite de ce changement, les étrennes se donnèrent en janvier, et il ne resta plus, pour le 1er avril, que des cadeaux simulés, disons le mot, des attrapes. Or, dit Larousse, comme au mois d’avril le soleil quitte le signe zodiacal des Poissons, nos aïeux trouvèrent bon de donner à ces mystifications le nom de poisson d’avril.»
Quelques années plus tard, dans «La Tribune de Genève» du 6 avril 1895, un historien genevois né en 1837 se penche à son tour sur cette réjouissante question. Arthur Massé, l’homme en fauteuil roulant qui a écrit «Promenades historiques dans les rues de Genève» (1874 et 1980), risque deux explications supplémentaires. Voici la première: un prince lorrain emprisonné par Louis XIII lui aurait fait la surprise de s’évader un 1er avril en nageant comme un vrai poisson dans le douves de sa prison. La seconde explication mêle le Christ en personne à l’origine d’une tradition dont le but serait de se moquer des choses sacrées sans le dire ouvertement. Massé rappelle au passage que «le mot grec ichthus, qui signifie poisson, est une sorte de monogramme mystérieux des cinq mots grecs Jesous Christos Theou Uyos Sôter , Jésus Christ de Dieu, Fils, Sauveur.» En faisant des farces sous le signe du poisson, on peut blasphémer sans qu’il soit dit…
Les Japonais attaquent!
Le 7 avril 1909, la Julie rapporte un poisson d’avril de dimension américaine et d’un goût plutôt douteux. Tout le monde ou presque, à Pittsburgh, a été pris de panique à l’annonce de l’attaque de San Francisco par les Japonais, colportée par une feuille locale. Après avoir bombardé et rasé la cité californienne, l’armée nippone aurait franchi les Rocheuses à bord de dirigeables «lançant des bombes sur leur passage et semant partout la ruine et la dévastation.» La presse avait déjà compris que plus c’est gros, mieux ça marche. Apprenant quel danger courait son pays, l’ancien président Theodore Roosevelt, dont le mandat s’était achevé le 4 mars, aurait pris le commandement d’un navire après avoir arrêté son capitaine, pour filer à la rescousse de ses chers Etats-Unis. A Pittsburgh, les gens s’attroupaient, accusant le gouvernement en place de ne pas avoir su déjouer un tel projet d’invasion.
Avant de quitter les temps anciens d’avant 14-18, savourons cet entrefilet du 4 avril 1911. Il y est question d’un canular du «Bund», le cousin bernois de notre actuelle «Tribune de Genève». Celle-ci relate que le quotidien suisse-alémanique a fait croire à ses lecteurs que le sultan Mehmed V, seigneur et maître de l’Empire ottoman depuis 1909, allait venir à Berne et s’y laisserait interviewer par un citoyen bernois. Et, dit la Julie, «presque tous les journaux romands se sont faits les propagateurs complaisants et naïfs de la mystification servie comme poisson d’avril aux lecteurs du «Bund» et ont gravement commenté la réception éventuelle du monarque ottoman dans la cité des bords de l’Aar. Et ça a été l’occasion de bons gros rires dans les abbayes, les Wirtschaften et les Bierstube. Pensez donc! Les Genevois, si gouailleurs, si farceurs, si «faiseurs de montures», avalant, sans sourciller l’indigeste poisson préparé dans les antichambres du Palais fédéral et le servant doctement à leurs lecteurs par transmission téléphonique!»
La Julie était-elle du nombre? Au lecteur de vérifier dans «La Tribune de Genève» en ligne sur www.e-newspaperarchives.ch
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