La «moraline», un paravent aux idées dépassées
Lucie Monnat considère qu'aucune époque n'a été aussi impudique et n'a permis autant de liberté d'expression que la nôtre.
«Moraline»: inventé par le philosophe Friedrich Nietzsche, le terme, désuet et peu usité, réapparaît depuis quelques mois, principalement dans les milieux conservateurs. L'expression moque une forme de morale bien-pensante, servie par des pisse-froid incapables de prendre du bon temps. Une version plus élégante du fameux «on ne peut plus rien dire».
Le mot est de préférence associé à Greta Thunberg et ses consorts écologistes, mais également aux féministes et soutiens du mouvement #MeToo, ou plus récemment aux critiques de l'auteur ouvertement pédophile Gabriel Matzneff. À en croire les personnes qui usent du terme de «moraline», souvent issus de la génération «Il est interdit d'interdire», le monde serait devenu oppressant de pudibonderie.
On ne peut guère se tromper davantage: à l'heure des réseaux sociaux, jamais une époque n'a été aussi impudique et permis autant de liberté d'expression. On y trouve tous les détails de l'anatomie d'un être humain dans des positions acrobatiques en deux clics, on y déverse sa haine, sa peine et – n'en déplaise aux adeptes de la «moraline», souvent des traits d'humour.
On y fait également son coming out, on parle de son combat contre la maladie, de son mal-être face à un corps qui ne correspond pas aux standards de la beauté. Depuis #MeToo, des milliers de femmes ont osé exposer sur la Toile les offenses subies dans leur chair et leur âme.
Cette tendance à la dénonciation de certains agissements jusqu'ici tolérés ne signifie pas que l'on s'offusque aujourd'hui davantage au nom d'une soi-disant morale. Il traduit simplement le besoin de reconnaissance et de respect pour les personnes qui expriment publiquement des blessures très intimes, majoritairement tues jusqu'à aujourd'hui. On dit ainsi beaucoup plus qu'hier.
La «moraline», c'est l'argument des faibles. Ceux qui ne parviennent à apposer qu'un ricanement bête et méchant face à un changement sociétal qu'ils ne peuvent – et surtout ne veulent pas – saisir. C'est une forme de paresse intellectuelle, mais il est vrai que certains peuvent se retrouver dépassés face à l'immense bouleversement auquel nous sommes en train d'assister. Le curseur des mœurs, du toléré et de l'intolérable, s'est déplacé avec une rapidité déconcertante.
«L'expression moque une forme de morale bien-pensante, servie par des pisse-froid incapables de prendre du bon temps»
On a peut-être, il est vrai, un peu moins envie d'entendre les dénonciateurs de la«moraline», dont beaucoup ont tenu le crachoir pendant des décennies, tant sur les plateaux télévisés qu'en littérature. Ceux-là même qui se plaignent de micro en micro, tribune après tribune, qu'on bride leur liberté d'expression. Leur humour et leur vision du monde tiennent désormais sur une page en train d'être tournée, aussi douloureux ce constat peut-il être.
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