Dans une de ces enquêtes dont il a le secret, le grand quotidien «Washington Post» vient de révéler comment l’agence atomique russe Rosatom, connue jusqu’ici comme fournisseur civil – donc pacifique – de technologies nucléaires à destination du monde entier, était en réalité devenue un pourvoyeur fidèle de l’armée russe et de ses fournisseurs d’armement en composants, matériels, carburants pour fusées et instruments de diverse nature alimentant son effort de guerre en terre ukrainienne*.
La révélation impressionne parce qu’elle touche au nucléaire, qui demeure la grande frayeur, et empêche les alliés de l’Ukraine de «terminer le job», comme naguère l’opération «Force alliée» de l’OTAN y avait pourvu en Serbie durant la guerre du Kosovo. Mais il y a bien d’autres dépendances occidentales à l’endroit de la Russie, plus ou moins connues, plus ou moins oubliées, plus ou moins forcées. À commencer bien sûr par le gaz (Gazprom), le pétrole (Rosneft), les céréales (Allgrain.ru, Velken et alia), les engrais (EuroChem, ATOM-NK), les métaux rares et tant d’autres, sans oublier le spatial, les lanceurs et la participation russe à la station ISS (Roscosmos). Tous secteurs dans lesquels la part du marché mondial détenue par la Russie est devenue première (20% pour le blé), voire prépondérante (25% pour le gaz, 30% pour l’enrichissement de l’uranium), sinon écrasante (37% pour le palladium).
Il n’y a pas que l’Allemagne qui soit tombée, avec les conduits sous-marins des deux Nord Stream, dans les filets tendus par les stratèges du Kremlin. Tous les pays de l’OTAN, et à certains égards les États-Unis eux-mêmes, se sont laissés peu à peu entraîner dans une funeste dépendance.
L’erreur n’est pas seulement d’avoir pensé, à la chute du Mur, que l’effondrement de l’URSS effacerait à tout jamais les risques de confrontation et ouvrirait la porte à une ère de paix, de prospérité et de confiance universelles. Elle a surtout été de négliger les avertissements lancés depuis toujours par ceux qui, connaissant par l’intime pour les avoir subies les capacités hégémoniques du pouvoir russe, n’ont cessé d’avertir l’Occident: pays Baltes, Pologne, Finlande.
«Il y a urgence à agir avant que, ayant compté sur l’usure des soutiens populaires, l’ogre finisse comme toujours par l’emporter.»
En multipliant, depuis le 24 février 2022, les sanctions contre des personnes, des entreprises et des organisations proches du pouvoir russe, les alliés occidentaux ont compté contrarier ses plans de bataille par l’affaiblissement de son économie. À ce jour, les résultats de la tentative ne sont guère que symboliques, le recul du PIB russe ne dépassant pas, aux dernières nouvelles, les 2 ou 3%. On peut toujours espérer qu’elles finissent par agir, mais les semaines et les mois qui s’écouleront dans l’intervalle ne serviront pas la cause qu’elles sont censées promouvoir puisque, sur le théâtre des opérations, le temps qui passe profite davantage à l’agresseur qu’à l’agressé.
Accélérer les livraisons d’armes et surtout d’armes lourdes à l’Ukraine est sans doute le seul moyen, militaire certes, mais efficace, de mettre un terme à l’aventure russe et de freiner son emprise sur les volontés d’aide occidentales. Il y a urgence à agir avant que, ayant compté sur l’usure des soutiens populaires qui déjà fatiguent ici et là, l’ogre finisse comme toujours par l’emporter, pérennisant ainsi sa tendance à entraver par ses visées expansionnistes la marche du reste du monde.
* Russia’s state nuclear company aids war effort («Washington Post» du 20 janvier 2023)
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Chronique économique – La méprise tragique de l’Occident