Sorties cinéma«La Ligne», «L’Immensità»: quels films aller voir cette semaine?
Les nouveautés sont peu nombreuses mais solides avec «La Ligne» d’Ursula Meier et «Armageddon Time» de monsieur James Gray.
«La Ligne», un monde sans hommes

Il y a d’abord cette séquence d’ouverture, incroyable, frappante, déstabilisante. Une femme qui jette disques et partitions contre le mur, une autre femme qui veut lui sauter dessus, l’agresser. La violence, gratuite, sans mobile, du moins sans mobile apparent, le film démarrant ainsi «in medias res», sans introduction. Tout cela est d’autant plus fort que le mouvement est décomposé, la scène étant filmée au ralenti.
Rares sont les débuts de films aussi percutants. La fiction reprend ensuite ses droits, sans que le mystère soit résolu. Car Ursula Meier n’explique rien. Ou si peu. De l’origine du conflit séparant mère et fille, jusqu’au traçage d’une ligne que la seconde n’a pas le droit de franchir, mesure d’éloignement imposée par la justice qui en dit long sur l’ampleur des tensions minant cette famille au féminin, on saura peu de choses. Comme dans «Seven Women» («Frontière chinoise» de Ford), les hommes sont quant à eux réduits à des portions plus que congrues. Leurs rôles sont à peine actifs, et le film, sorte de huis clos aéré où le sentiment d‘étouffement est palpable, pourrait d‘ailleurs très bien fonctionner sans eux. Tout cela est formidablement bien tenu.
Note: ***
«Armageddon Time», mythologie des souvenirs

Certains affirment que les grands auteurs font toujours le même film. Rien n‘est plus faux. Voyez James Gray. Il a certes des thématiques récurrentes, en vrac la famille, l’éloignement, l’histoire intime de l’Amérique et autres sujets moins apparents, mais il ne cesse de faire des films différents les uns des autres. Après une quête métaphysique dans la jungle («Lost City of Z») et une saga dans l’espace libérée des contraintes du cinéma de science-fiction («Ad Astra»), le voici dans «Armageddon Time» avec un portrait familial dans le Queens des années 80. Emanations autobiographiques, digestion de souvenirs personnels, appels d’un passé proche, peu importe. Le réalisateur a choisi de conter cette histoire avec un souci du classicisme et surtout avec une acuité troublante.
C’est à travers le regard d’un jeune garçon (Banks Repeta) qui étouffe sous la pression parentale, que les souvenirs se dévoilent. Son amitié avec un autre garçon va l’ouvrir à des mondes qui favoriseront son émancipation et sa rébellion dans l’univers étriqué qui est le sien. L’éveil à l’art (via notamment un tableau de Kandinsky), à la conscience politique (nous sommes à l’époque où Reagan est élu à la Maison-Blanche pendant que la famille Trump, déjà, laisse planer ses influences sur New York), forment les étapes d’un récit initiatique tempéré par les différents échanges entre son grand-père (Anthony Hopkins) et lui.
Par-delà le parcours personnel du garçon, le film crée sa propre mythologie et nous rappelle qu’au sein de chaque individu, mal et bien luttent de concert. C’est d’ailleurs le sens du titre, via cette référence à l’Armageddon biblique, siège de batailles colossales proches de la fin du monde. L’un des grands films du moment.
Note: ***
«L’Immensità», portrait en miroir de Crialese

Nous sommes à Rome, au cœur des années 70. Un jeune couple – une Espagnole, un Sicilien – s’y installe avec leurs trois enfants. Mais leur mariage est en crise et madame, pour tourner le dos à ces problèmes, se concentre sur ses enfants. Et réalise que sa relation avec son aînée, Adriana, devient plutôt tendue. En cause, un problème d’identité sexuelle pour la jeune femme, qui demande désormais qu’on l’appelle non plus Adriana mais Andrea, et qu’on la considère comme un garçon.
Tout cela semble plutôt quelconque, mais le fait qu’Emanuele Crialese, auteur du film, ait fait son coming out trans durant la Mostra, où le film était présenté, éclaire tout cela d’un jour inédit. «L’Immensità» s’apparente dès lors à un portrait en miroir du cinéaste. Le filmage est classique, Penélope Cruz très bien.
Note: **
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