Depuis que la «Schweiz am Wochenende» a révélé l’existence de fuites systématiques entre l’ancien chef de la communication d’Alain Berset et le patron de Ringier, l’affaire enflamme la presse helvétique. À plusieurs reprises durant la crise du Covid, le «Blick» (qui appartient à Ringier) a su à l’avance ce qui serait proposé au Conseil fédéral. Et ces révélations donnent un nouvel éclairage sur des propos du patron de Ringier, qui disait vouloir soutenir la politique du gouvernement pour traverser la crise sans encombre.
Le «Blick» assure que ses informations ont été obtenues grâce aux enquêtes de ses journalistes. Et que la rédaction ne s’est pas laissée influencer. Je ne jugerai pas ces événements, n’ayant pas toutes les informations pour le faire. En revanche, ils permettent de se pencher sur des questions touchant aux relations entre les médias et le monde politique, et qui sont importantes.
«Les journalistes apprennent que, quand une personne donne une information, il faut se demander quel est son intérêt à le faire.»
Tous les journalistes essaient d’obtenir des informations en exclusivité. Cela fait partie du jeu, et nous aimons gagner. Soyons francs: durant la crise du Covid, je me suis parfois dit «Bien joué!» en lisant le «Blick», même si l’on peut se demander si le fait d’apprendre quelques heures à l’avance que les habitants de la Suisse pourraient probablement se réunir à l’intérieur à dix plutôt qu’à cinq était réellement décisif.
Les fuites permettent aussi à la presse d’informer. Il y en a eu durant la crise du Covid. Et aujourd’hui, une indiscrétion est à l’origine de l’affaire désormais surnommée «Corona-Leaks». La question est de savoir à quel prix ces renseignements sont obtenus. Quelles sont les limites? Durant leur formation, les journalistes apprennent que, quand une personne donne une information, il faut se demander quel est son intérêt à le faire. Ne pas être dupe, ne pas donner de contreparties. Refuser l’ingérence étatique, ne rien accepter qui pourrait limiter son indépendance. Et ne publier une information que si elle est vérifiée et a un intérêt public.
Mettre à profit nos libertés
Tout cela paraît théorique? Permettez-moi de raconter une histoire personnelle. Il y a une quinzaine d’années, j’ai eu la chance de travailler durant un mois dans une rédaction en Afrique. Durant ce séjour, les journalistes que je côtoyais ont reçu des communiqués de presse provenant des autorités, qui ont été lus à l’antenne. Ces documents n’ont pas été commentés. Aucune explication n’était demandée. Aucun autre interlocuteur n’était interrogé pour connaître son avis. Et lorsque j’ai demandé s’il était possible de contacter un ministère pour mieux comprendre une information, on n’a pas pu me dire où m’adresser.
En Suisse, nous avons la chance de ne pas connaître cette propagande. C’est pour cette raison qu’il faut utiliser nos libertés - notamment celles de s’exprimer et de débattre, y compris du travail des médias. Et pour les journalistes, cela implique aussi de chercher à obtenir des informations.
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La rédaction – La fuite permet aussi d’informer le public
Les indiscrétions, dont on parle avec l’affaire «Corona-Leaks», font partie du travail du journaliste. Mais celui-ci doit les vérifier et rester critique.