Procédures de nominationLa Compagnie Classique tire les leçons positives de son litige avec la Ville
Ses coresponsables Didier Nkebereza et Stéphane Mitchell précisent les droits des artistes qui postuleraient à la direction des théâtres municipaux du Grütli et de l’Orangerie.

On doit aux hasards du calendrier que la conférence de presse donnée cette semaine par Didier Nkebereza et Stéphane Mitchell coïncide à peu de chose près avec la mise au concours des prochaines directions du Théâtre du Grütli et du Théâtre de l’Orangerie, pour lesquelles le duo genevois avait été recalé en 2017. Alors que la Ville de Genève sera amenée sous peu à désigner les successions respectives de Barbara Giongo et Nataly Sugnaux Hernandez, d’un côté, et d’Andrea Novicov de l’autre, le moment tombait à point nommé pour étendre les conclusions du démêlé judiciaire qui, de 2017 à fin 2022, a confronté jusqu’au Tribunal fédéral (TF) le binôme responsable de la Compagnie Classique et le Département de la culture chapeauté par Sami Kanaan.
«J’étais noir, pédé, je voulais monter Racine, et en plus me battre contre toute forme d’irrégularité dans l’application du droit.»
Si le deuxième arrêt du TF, prononcé à la fin de novembre 2022, n’a pas donné gain de cause aux deux recourants, metteur en scène et scénariste de leur métier, ces derniers ont malgré tout obtenu des avancées notables pour les artistes qui postuleraient à l’avenir à la tête des deux institutions gérées par la Ville de Genève. Des avancées qui ont surtout valeur de clarifications.
Garantie de transparence
Principalement, les nominations à la tête des théâtres municipaux devront respecter un nouveau cadre légal, en se conformant non plus au droit des subventions (lesquelles relèvent du règlement communal), mais au droit des concessions (défini par la loi fédérale sur le marché intérieur) – ce qui soumet leur procédure à davantage de contrôle judiciaire. Que la sélection du candidat, par un jury habilité, détermine des critères à la fois transparents et non discriminatoires, voilà en clair ce qui devra être garanti à tout moment. Sous peine d’un recours possible.

Discrimination: le maître mot de la réunion organisée voici quelques jours à la Maison internationale des associations. Didier Nkebereza, entre-temps nommé directeur du Centre culturel des Terreaux à Lausanne, s’est estimé triplement discriminé par le Conseil administratif en 2017, lorsqu’il n’a été retenu pour diriger ni le Grütli (budget annuel de 2 millions environ) ni l’Orangerie (700’000 francs): «J’étais noir, pédé, je voulais monter Racine, et en plus me battre contre toute forme d’irrégularité dans l’application du droit», a-t-il déclaré dans sa verve toute cornélienne.

«Je suis femme, je ne suis pas artiste, je suis pour la première fois aux commandes d’une institution, et je me sens moi aussi discriminée», lui a rétorqué depuis la salle Barbara Giongo, préférée à Didier Nkebereza pour codiriger le Grütli en 2018, et dont le second mandat prendra fin en été 2024. L’ancienne administratrice de la Compagnie de l’Alakran s’est rendue à la conférence de presse pour témoigner de l’ombre portée sur sa fonction depuis le début de cette longue action en justice. «Ma consœur et moi avons été délégitimées. Un discrédit a été jeté sur nos six ans de travail», a-t-elle souligné.
Quant au magistrat, il peut à titre personnel se juger discriminé par une insinuation de racisme, d’homophobie et de rejet du théâtre classique. Publiquement, il estime surtout que «l’arrêt de novembre 2022 inflige une défaite cinglante à M. Nkebereza et Mme Mitchell, et valide la pertinence complète de nos procédures d’attribution».
«Didier Nkebereza et Stéphane Mitchell n’ont aucune légitimité à se poser en défenseurs des droits des artistes.»
Le seul changement obtenu par la Compagnie Classique lors du premier arrêt du TF en mai 2019, note encore Sami Kanaan, est que, «dans certaines conditions, le droit des marchés publics s’applique». «Lorsqu’ils ont voulu obtenir de la justice la validation de leurs droits spécifiques sur la base de ce changement de jurisprudence, ils ont perdu. Didier Nkebereza et Stéphane Mitchell n’ont dès lors aucune légitimité à se poser en défenseurs des droits des artistes», conclut-il.
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