MédecineLa clause du besoin, une mesure critiquée à Genève
Pour le secteur privé, empêcher les médecins de s’installer ne contribuera pas à baisser les coûts et se fera au détriment de la qualité.

Limiter le nombre de cabinets médicaux pour réduire les coûts de la santé, une fausse bonne idée? Le secteur privé le croit et demande à l’État d’assouplir la règle.
Pour rappel, dès le 1er octobre, les autorisations d’ouvrir un cabinet seront octroyées au compte-goutte en fonction du nombre de médecins déjà actifs dans chaque discipline. L’idée est de limiter l’offre pour réduire les coûts.
La loi fédérale entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2023, mais Genève veut aller plus vite (nos éditions précédentes). Si la décision désole les principaux intéressés, elle fâche le secteur privé, qui la juge inefficace et pernicieuse.
«Genève a connu la clause du besoin de 2002 à 2012. Certes, en 2012, l’augmentation soudaine de l’offre a coïncidé avec une envolée des coûts. On ne peut le nier», concède Rodolphe Eurin, président des cliniques privées genevoises et directeur de l’Hôpital de La Tour. Mais fermer le robinet n’est pas du tout la bonne option.»
Contrôler la qualité, plus que la quantité
Selon lui, il faut miser sur la qualité, «ce que la clause du besoin ne fait pas du tout. Il existe en médecine des guides des bonnes pratiques. Il faut les rappeler.» En somme, il faudrait «responsabiliser les médecins via un contrôle par les pairs. Il faut que ce tabou tombe! Anonymement, toute la profession est d’accord pour dire qu’il y a encore trop d’actes inutiles.»
Et de rappeler qu’en 2020, sous l’impulsion du Dr Omar Kherad, «les médecins de La Tour se sont vu rappeler les 5 ou 7 examens ou médicaments trop souvent prescrits. Ce simple rappel a permis de diminuer le nombre d’examens demandés; cela a réduit les effets secondaires pour les patients et les coûts pour le système.»
D’accord, mais pourquoi ne pas ajouter ce contrôle à la clause du besoin? Car la régulation est mauvaise en soi, affirme Rodolphe Eurin: «Elle a comme effet pervers de sanctuariser le corps médical en exercice.»
«Imaginez que l’ouverture de restaurants soit limitée, quelle tendance la qualité des menus ou du service afficherait-elle à grande échelle ? Nous le savons: la limitation de la compétition se fait toujours au détriment du client.»
Il poursuit: «Imaginez que dans votre métier, le nombre de professionnels pouvant exercer soit limité, avec même l’objectif de le réduire. Imaginez que l’ouverture de restaurants soit limitée, quelle tendance la qualité des menus ou du service afficherait-elle à grande échelle ? Nous le savons: la limitation de la compétition se fait toujours au détriment du client. Cette limitation se fera donc au détriment du patient», observe le directeur de La Tour.
Directeur des cliniques Hirslanden (Colline et Grangettes), Gilles Rufenacht réagit lui aussi: «Cette ultraplanification vise l’étatisation de la médecine. À court terme, on croit économiser, mais on va créer des listes d’attente; on en paiera le prix à moyen et long terme.»
«Manquer de médecins»
Freiner l’installation de jeunes médecins est pour lui «un non-sens: la collectivité finance leur formation pour ensuite se priver de leurs services. Ils risquent de partir ailleurs en Suisse ou à l’étranger et nous allons finir par manquer de médecins à Genève.» Vraiment? «Oui, car entre le vieillissement de la population et l’accroissement des maladies chroniques, les besoins augmentent. Le canton se densifie. La maison de santé prévue aux Cherpines ne pourrait donc pas y accueillir de médecins?»
Pour Gilles Rufenacht, «le système fonctionne bien. Quand on a un problème de santé, on a une réponse dans un délai acceptable. Il faut garder cela. Les centres de soins et les pôles de compétences permettent déjà d’améliorer la qualité et de diminuer les dépenses inutiles.»
Les deux représentants du secteur privé appellent le Département de la santé à rouvrir la discussion.
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