Festival de GenèveLa Bâtie largue les amarres!
Dès ce soir et pour une grosse quinzaine, plus de 60 spectacles de théâtre, danse et musique se disséminent d’un bout à l’autre du Grand Genève. Attention, déluge.

Les vannes s’ouvrent, et rien n’arrêtera plus les trombes qui s’en échappent. L’offre de La Bâtie 45e édition, si elle reste quelque peu limitée en têtes d’affiche internationales, s’annonce plus pléthorique que jamais. Protéiforme comme rarement. Qui plus est, l’exploitation des spectacles court sur davantage de dates. Et surtout, à l’instar de son cousin hivernal Antigel, le festival pousse toujours plus loin ses incursions territoriales, tant à l’intérieur des salles du Grand Genève qu’en plein air, au bout d’un chemin. L’idée? Circuler, s’insinuer, se propager d’une scène à l’autre, plus vite que le virus.
Tout un camaïeu
Clin d’œil à l’appétit qui tenaille spectateurs comme artistes affamés, Claude Ratzé donne son coup d’envoi avec un tonitruant «Fuck Me» dû à la chorégraphe argentine Marina Otero. Pour conclure sa programmation, le directeur a en revanche choisi les volutes extravagantes du pianiste canadien Chilly Gonzales. Entre les deux, tout un camaïeu de propositions oscillant entre calme et tempête – du «A Quiet Evening of Dance» de l’Américain William Forsythe au «Mal» de la Capverdienne Marlene Monteiro Freitas –, pénombre et lumière – d’un «Y a pas de mal» autour de la masturbation à un «Feu de tout bois» en lisière de forêt, ou encore entre ancrage local et cosmopolitisme – de l’itinérant «Par les villages» au «Speech Symphony» convoquant 30 traducteurs simultanés. Sur le plan thématique, on s’attend à un record de titres abordant les questions de genre («Showgirl»…), de racisation («Black Privilege»…) et d’écologie («Perspectives – un ensemble animal»…).
Recours au bison futé
Impossible de viser à une quelconque exhaustivité ici. Avec la curiosité pour toute boussole, on veillera néanmoins à consulter activement le site internet de la manifestation. Histoire de vérifier l’accessibilité des représentations, le nombre de places disponibles, les éventuelles annulations dues à la météo et les possibles changements dans l’application des mesures sanitaires. À l’aveugle, nous vous livrons malgré tout ci-dessous un petit échantillon de titres.
La Bâtie – Festival de Genève, progr., infos et billetterie sur www.batie.ch

Derrière le prénom de Jezebel (Jézabel en français) se cache l’une des figures les plus archaïques qu’ait ressuscitées le néo féminisme. Épouse mécréante et malfaisante du roi d’Israël Achab dans l’Ancien Testament, elle aurait fini dévorée par des chiens. Pour sa première chorégraphie, en tournée depuis 2019, la danseuse néerlandaise Cherish Menzo lui superpose l’image des «video vixen», ces femmes noires hypersexuées qu’exhibent les clips de hip-hop, pour en faire l’égérie contemporaine d’une féminité en pleine maîtrise de sa puissance, à condition de renverser les stéréotypes.

Une (co)directrice par ailleurs metteure en scène suscite évidemment l’attente, surtout quand le théâtre qu’elle pilote fait la une. À peine levé le rideau sur la scène de la nouvelle Comédie, voici son intendante l’investir de deux spectacles en diptyque. L’un, créé en 2019, détournait «Le Songe d’une nuit d’été» shakespearien en audition d’acteurs telle que Natacha Koutchoumov en a expérimenté. L’autre, qu’on découvre portée par la même distribution, transpose «Hamlet» en «bord de plateau» – soit une rencontre entre les artistes et le public à l’issue d’une représentation. Effets poupées russes garantis.

Comme un convive au centre d’une tablée, l’un des six comédiens du collectif anglais Forced Entertainment se sert du poivrier, du verre d’eau ou du couteau devant lui pour raconter en moins d’une heure la tragédie du «Roi Lear». D’«Othello». De «Roméo et Juliette». Ou la «Comédie des erreurs». En fait, de l’intégralité des 36 œuvres dramatiques composées par William Shakespeare, considérées l’une à l’égale de l’autre, et appariées deux par deux à l’intérieur d’une seule séance. En anglais sans surtitres, des gestes éloquents et une langue simplifiée vous ouvrent la boîte à couture de l’inépuisable génie élisabéthain.

Lituanienne de naissance, l’ex-artiste associée de L’Abri Anna-Marija Adomaityte poursuit sa recherche chorégraphique sur la notion d’endurance. Après avoir observé le corps soumis aux gestes standardisés du travail, c’est au corps soumis aux gestes standardisés d’une sexualité hétéronormée qu’elle s’intéresse ici. Au milieu du public, un couple se transfigure sous le joug de l’effort amoureux, jusqu’à l’épuisement. Des idéaux romantiques ou de la folie programmée, qui aura raison de leur «Pas de deux»? La réponse passera forcément par une forme de résistance.

Libellé londonien, ce quintette de rock indé ratisse parmi des origines suédoises, australiennes et uruguayennes en plus de britanniques. Son unité de genre le caractérise au moins autant que ses racines multiculti, ainsi que ne le prouve pas tout à fait son nom de baptême, Los Bitchos. Adoubées par le chanteur du groupe écossais Franz Ferdinand, les frangées ont multiplié les premières parties avant de porter fièrement leurs morceaux instrumentaux à la lisière du garage, du psychédélique et de la cumbia. Leur radicalisme bâtard sème depuis la transe sur son passage.

Comme les précédentes, la sixième création des Old Masters promet d’entrelacer le banal et le grandiose en faisant preuve respectivement de toute la dérision et toute l’infatuation qui s’imposent. Absurde, corrosif et avisé, l’art poétique des Romands s’applique cette fois à l’interprétation d’une œuvre musicale, dont ils déroulent le fil au gré de tableaux vivants ourlés de surtitres. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, la démonstration jette un filet sur la politique et la philosophie, pour n’en ramener que la désespérante insignifiance humaine.
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