L'avortement est-il une affaire privée?
Légalisée en 2002 en Suisse, l'IVG est remise en question par deux initiatives récentes. L'une demande qu'elle ne soit plus remboursée par l'assurance de base, l'autre son interdiction. Deux femmes en débattent

Quel est l'objectif de l'initiative contre le remboursement de l'IVG?
Valérie Kasteler-Budde (VKB): Que le financement de l'avortement ne soit plus remboursé par l'assurance de base. En 2002, plus de 70% des Suisses acceptaient de dépénaliser l'IVG. Mais beaucoup n'ont pas réalisé que, ce faisant, ils donnaient leur accord pour que leurs primes financent les avortements alors que c'est contraire à leurs valeurs. La solidarité oui, mais si elle vise un mieux-être ou des soins donnés pour guérir une maladie.
Comprenez-vous que financer l'IVG puisse choquer certains citoyens?
Virginie Studemann (VS): L'argument financier est un prétexte. Ce texte émane de groupes politiques et associatifs qui luttent contre l'avortement depuis des années. Baser l'argumentaire sur l'aspect pécuniaire le rend politiquement correct, car il touche à la problématique des coûts des assurances maladie. Faire de l'IVG une affaire privée, c'est faire encourir aux femmes un risque dans leur santé: parce qu'elles n'ont pas les moyens, les plus démunies d'entre elles pourraient choisir d'interrompre leur grossesse par d'autres voies que celle de l'hôpital public. De plus, cette initiative touche au principe de solidarité de l'assurance sociale. Remettre en cause le système de financement global des coûts de la santé en émettant des jugements moraux sur les risques que prennent les gens à titre individuel est dangereux. Certains pourraient tenir le même raisonnement à propos du tabac, du diabète, de l'alcool et cetera.
Ne risque-t-on pas de précariser les femmes les plus démunies?
VKB: On peut inclure l'IVG dans l'assurance complémentaire. Cela reviendrait à une prime de 3 fr. 50 par mois. C'est le prix d'un café, c'est supportable. Et les populations précarisées sont prises en charge par des structures comme l'Hospice général.
VS: Je rappelle que les assurances complémentaires ne sont pas accessibles à tous. L'assureur a tout loisir de refuser une prestation, même pour trois francs. La LAMal seule garantit un accès à une prestation. Les femmes qui décident d'une IVG sont le plus souvent des femmes en situation d'isolement social, qui ont des soucis financiers et ont le moins accès à l'information.
Êtes-vous pour ou contre l'IVG?
VKB: Chaque personne est responsable de sa propre vie. J'ai des amies qui ont avorté. Cependant, à titre personnel, je n'avorterais pas. L'IVG aboutit à la mort d'un enfant et est assortie de problématiques peu évoquées: des souffrances psychologiques importantes, de la violence conjugale, des cancers du sein. Pour des raisons éthiques, ça me choque d'être forcée de payer des primes d'assurance qui permettent de financer 20'000 IVG par année dans notre pays.
VS: Fondamentalement, la question n'est pas de savoir si on est pour ou contre. C'est de savoir si on est dans un pays qui accorde aux femmes le droit de décider d'interrompre une grossesse en mettant leur santé le moins en danger possible. Et ce droit est lié à la gratuité. Il ne s'agit pas de faire la promotion de l'avortement! Je respecte les femmes qui n'avortent pas pour raisons religieuses. Il faut de la réciprocité et ne pas juger celles qui avortent car elles ont d'autres valeurs.
Finalement, le débat est bien éthique…
VKB: Mais il n'est pas question de jugement dans l'initiative! On demande de respecter les gens qui ne veulent pas être complices d'une chose à laquelle ils n'adhèrent pas. En 2011, la Cour européenne, qui n'est ni religieuse ni morale, s'est prononcée sur ce qu'est une cellule souche: c'est ce qui n'est pas porteur de vie. A contrario, elle a déterminé qu'une multiplication cellulaire induit la vie et est digne de protection. Une femme enceinte est porteuse d'une vie. Si elle choisit de l'arrêter, on ne veut pas le financer.
VS: Voilà qui démontre exactement ce que je disais! Tous les arguments utilisés là ont nourri le débat anti-IVG, l'initiative s'inscrit donc dans cette mouvance. De deux choses l'une. Soit on parle du financement et tous les propos sur les cellules souches n'ont pas lieu d'être, soit on attaque l'avortement avec les arguments qu'on connaît déjà.
Avec une grossesse interrompue sur neuf, l'IVG est-elle banalisée en Suisse?
VKB: Oui, on assiste à une banalisation, à un changement de comportement induit par un accès plus facile à l'avortement et à la pilule du lendemain. Surtout chez les jeunes filles. Le travail de prévention pourrait être mieux fait. Et les dangers de l'avortement sur la santé de la femme doivent être davantage relayés.
VS: Je suis abasourdie. Parler de banalisation de l'IVG est dénigrant pour les femmes qui ont vécu une telle épreuve. Elles n'ont pas besoin d'être culpabilisées, la société s'en charge assez. Elles doivent être accompagnées. Toutefois, il y a une vraie problématique autour de l'éducation sexuelle et de l'information sur la contraception chez les jeunes. Souvent, les programmes mis en place sont en décalage avec les nouveaux supports médias et internet et mériteraient une réflexion plus large. Une des meilleures façons de réduire le nombre d'IVG, c'est de rembourser tous les moyens de contraception.
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