L'arc jurassien adore les mots tirés de l'allemand
Quelle place ont les germanismes dans le parler des Romands? Des linguistes ont mené l'enquête parmi les internautes.

Utilisez-vous le terme «poutzer» quand c'est l'heure de faire le ménage? «Chablon» plutôt que «pochoir»? Dites-vous parfois «kotzer» au lieu de «vomir»? Les linguistes qui mènent depuis quelques années une vaste enquête sur le français des régions ont posé une quarantaine de questions de ce genre aux internautes intéressés. «L'idée était de déterminer dans quels cantons – et dans quelles proportions – certaines tournures lexicales empruntées à l'allemand ou au suisse alémanique étaient employées par les Romands», explique Mathieu Avanzi, de l'Université de Louvain (B). Le succès a été fulgurant: plus de 3000 francophones de Suisse, mais aussi quelque 150 Français des départements de l'Ain, du Jura et du Doubs y ont répondu.
Résultat? Bon nombre de ces germanismes sont très répandus dans nos villes et nos campagnes. Certains, comme «witz» ou «stempel» se retrouvent dans toute la Suisse romande. D'autres sont bien plus localisés. Mais pas dans les cantons bilingues, malgré la proximité du dialecte alémanique. C'est en effet dans l'arc jurassien que ces termes dérivés de la langue de nos voisins sont le plus fréquemment usités. Eh oui, à Neuchâtel, à Tramelan ou à Delémont, on va volontiers «chneuquer» dans les magasins et l'on parle bien souvent de son «fatre» ou de sa «moutre» pour évoquer ses parents…
Identité régionale
On peut s'étonner, comme Mathieu Avanzi, de l'existence de cet «îlot jurassien» influencé par la langue de Dürrenmatt. L'enquête en ligne n'a pas la prétention de percer ce mystère. Le linguiste ne peut que livrer quelques hypothèses: les nombreux citoyens alémaniques établis dans ce coin de pays, la perception des régionalismes comme des marqueurs forts de l'identité régionale…
Ces termes se maintiennent-ils dans le langage courant ou ont-ils tendance à disparaître? Pour le savoir, il faudra répéter ce type de recherche dans vingt ou trente ans, estime le spécialiste, Certains mots, en tout cas, lui semblent peu «menacés», car leur équivalent en français classique est peu connu. Ainsi, le «boiler» des maisons suisses a peu de chance d'être supplanté par le «chauffe-eau» de nos voisins français.
De même, il s'avère que l'âge des locuteurs n'est guère déterminant quant à l'usage des germanismes. Un ado dira aussi souvent «schlaguer» (battre, frapper) que son grand-père, d'après cette enquête. Une expression comme «être à la strasse» (à la rue) est certes bien plus courante chez les jeunes. «Mais c'est une question de registre de langage, exactement comme en français standard, précise Mathieu Avanzi. Les termes argotiques sont plus prisés des jeunes.»
Chicon ou endive?
La mobilité grandissante va-t-elle contribuer à niveler le vocabulaire? Là encore, des études plus poussées seront nécessaires pour l'évaluer. «C'est sûr qu'on a tendance à s'adapter quand on déménage, dit l'expert. Un Romand ne pourra pas se faire comprendre à Paris s'il parle de son natel… Mais j'ai l'impression que les réflexes reviennent vite dès que l'on rentre chez soi. Et puis, il reste assez de gens sur place pour que les régionalismes perdurent.»
Spécialiste de la géographie linguistique du français, Mathieu Avanzi a travaillé à Neuchâtel et à Zurich avant de poser ses bagages en pays wallon. Il a été surpris d'entendre les Alémaniques reprendre à tout va des mots français comme «merci» et «adieu». Encore un aspect à défricher! Mais dans l'immédiat, l'enquête se poursuit dans la francophonie, toujours via des sondages sur Internet. Chicon ou endive? Carotte rouge ou betterave? Linge, serviette ou même «essuie» comme en Belgique? Les chercheurs espèrent obtenir des réponses, ici et jusqu'en Provence.
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