Crise Russie-UkraineKiev 2022, Dantzig 1939
Et si la Russie avait tout à perdre à envahir l’Ukraine. Même si les Occidentaux ne sont pas prêts à mourir pour Kiev
Ce billet est signé par un blogueur de la plateforme «Les Blogs» en partenariat avec la «Tribune de Genève». Il n’engage pas la Rédaction.

Dans sa volonté obsessionnelle de reconstituer l’empire des tsars et de l’URSS, Vladimir Poutine se prépare à risquer un terrifiant gambit: tout perdre sur le plan économique (ses principales sinon uniques ressources budgétaires – l’exportation de produits de base, gaz surtout – , son accès vital au système financier occidental, et une bonne partie de ses forces vives sur le plan humain) en échange d’un avantage territorial gagné par l’envahissement de tout ou partie de l’Ukraine, puisque aussi bien – on en est à peu près sûr maintenant – les membres de l’OTAN n’interviendront pas sur le plan militaire.
Pas davantage qu’en 1939 Français et Britanniques n’avaient voulu mourir pour Dantzig, personne aujourd’hui, ni à Washington, Londres, Berlin ou Paris, ne voudra mourir pour Kiev: la France s’occupe du Mali, l’Angleterre se tâte pour éjecter son premier ministre, et Biden expédie 800 soldats supplémentaires en Europe de l’Est, histoire d’effaroucher les 130’000 et quelques membres des bataillons tactiques russes massés aux frontières avec l’Ukraine.
L’Occident est trop occupé à défendre son niveau de vie pour se risquer dans la guerre, mais les oligarques entourant le maître du Kremlin font fausse route en imaginant conserver leurs privilèges à condition de le suivre dans son fol gambit. Si d’aventure les événements s’enchaînent jusqu’à la guerre, fût-elle limitée au Dombass et aux alentours de Karkov, les coûts seront exorbitants pour la Russie. Le pays perd déjà ses habitants (plus d’un million l’an dernier) pour cause de vodka, pauvreté et baisse alarmante du taux de fécondité. Son produit intérieur brut est trois fois inférieur à celui de l’Allemagne et, par habitant, à peu près égal à celui de la Bulgarie ou de la Malaisie. Son armée lui coûte, hors expéditions militaires, 12% de son budget. Et l’inflation – 8% l’an dernier – ronge les moyens d’existence de sa population.
L’âme russe est patriote, mais il y a des limites.
Si l’Europe occidentale a beaucoup à perdre à court terme des sanctions économiques qu’elle a promises en cas d’agression de l’Ukraine, et notamment de l’envolée des prix de l’énergie qui s’ensuivraient, c’est la Russie, au bout du compte, qui paierait le plus cher pour les aventures poutiniennes. Non seulement elle s’enfoncerait un peu plus dans la paupérisation, mais elle compromettrait pour longtemps ses chances de modernisation, tant elle dépend, hormis le nucléaire et l’armement, de la technologie occidentale pour son industrie et ses infrastructures désuètes.
Alors que, rêvons un peu, si elle s’avisait de saisir la perche qu’on aimerait tant lui tendre, elle trouverait aussitôt, à sa large disposition, les moyens matériels, financiers et techniques de renouer avec la partie occidentale d’un continent dont elle fait à l’évidence partie. Une Russie pacifique, coopérante et pourquoi pas démocratique occuperait ainsi la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Est-ce que les va t’en guerre en tout genre qui occupent bruyamment la scène médiatique ne pourraient pas être enfin poliment éconduits par les majorités, modérées, mais hélas silencieuses, qui aspirent à une vie paisible – d’autant que d’autres priorités combien vitales, la sauvegarde de l’environnement, l’avenir énergétique et pourquoi pas celui de l’espèce humaine entière, sont désormais en jeu?
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