Scène genevoiseK-XIX, un groupe de rock né dans le confinement
Lorsqu’en mars, les salles ont fermé, l’Usine s’est retrouvée elle aussi dans le noir. Le désert total? Exception faite de trois musiciens qui ont répété sans relâche dans la maison…

K-XIX en concert à Urgence DIsk. Le trio de rock est né en plein confinement dans les locaux de l'Usine. ©Pierre Albouy/Tribune de Genève
Vendredi 10 juillet. À l’heure de l’apéro, la place des Volontaires, côté Usine, évoque ces gargotes estivales où il fait bon vivre en taquinant le cochonnet un verre à la main. Ce n’est pas une foule, juste un petit rassemblement d’habitués, vêtements noirs et tatouages sous le soleil du soir.
Après quatre mois de pause forcée en raison de la pandémie, le centre culturel autogéré n’a pas encore repris ses activités. À l’exception notable du petit magasin de disques auquel on accède au rez via le vaste hall témoignant du passé industriel de l’édifice. Au programme d’Urgence Disk, ce jour-là, c’est «metal down tempo». Le groupe? Un pur produit de la maison: Charles, Sylvain et Fred, trois piliers de l’Usine, présentent la première formation genevoise de rock née pendant le semi-confinement, le bien nommé K-XIX.
Public masqué
Un panneau à l’entrée indique le «dress code» à respecter: pas de tenue en cuir, ni de chemise hawaïenne, mais le masque obligatoire pour qui veut assister aux joies musicales post-covidales. Attifé de la sorte, on pénètre l’antre du «Baron», Damien Schmocker de son nom. Un résistant de la culture, hors subventions, hors catégories. Un pur de l’alternatif, un dur à cuire de la débrouille: dès lors qu’il a été possible d’accueillir auditeurs et musiciens, le Baron s’est remis au travail. Le public a-t-il une drôle d’allure ainsi masqué? «On l’aurait suggéré comme thème de déguisement, ça n’aurait jamais aussi bien fonctionné», souffle un visiteur.
Un plan pareil, c’est un privilège
S’ensuit une brève confusion, qui ne manquera pas de faire sourire après coup: nez et bouche protégés, on oublie d’en faire autant pour les oreilles. Deux guitares, une batterie, pas de chant, mais des riffs aussi lourds que le plomb, et les décibels qui conviennent, l’ensemble vrille les tympans. «Metal down tempo», c’était écrit. «Depuis le temps qu’on n’avait plus écouté de rock qui dépote, voilà qui fait du bien!» assure un spectateur.
Passé le moment aussi bref qu’intense d’une performance trépidante, le trio se sustente et passe à confesse. Charles, à la batterie, assure l’administration de l’association PTR. Sylvain, à la guitare, se présente comme «majordome» de la grande salle de concerts au rez, pour laquelle il assure la maintenance, de la plomberie au tri des déchets. Fred, également à la guitare, lui, œuvre en sa qualité d’ingénieur du son pour l’association Kalvingrad. Sans oublier Damien Schmocker, d’Urgence Disk, parrain enthousiaste de ce groupe naissant, auquel il a fourni divers samples. Tous ensemble, voilà une délégation représentative des activités musicales de l’Usine.

A l’entrée d’ Urgence DIsk, un pictogramme signale le port du masque obligatoire pendant le concert. ©Pierre Albouy/Tribune de Genève
Mais revenons en mars dernier. Charles, qui a fort à faire pour obtenir réductions partielles de travail et autres mesures extraordinaires pour que ses collègues ne meurent pas de faim, entend faire de la musique malgré tout. Fred, qui n’a d’autre solution pour la nuit que le dortoir d’ordinaire réservé aux artistes de passage, souhaite en faire autant. Idem pour Sylvain: le 11 mars, ce dernier devait se produire ici avec l’un de ses groupes attitrés, Mandroïd of Krypton. Le 11 mars, l’Usine décidait de fermer ses portes. Frustration. Goût d’inachevé. Le rock, cependant, n’avait pas dit son dernier mot.
Catharsis musicale
«La grande scène était vacante. Nous avons demandé une autorisation à la Ville, qui est propriétaire des lieux. Dès lors, nous avons amené notre propre matériel sonore pour composer, répéter et même enregistrer dans des conditions idéales», résume Sylvain: «Un plan pareil, c’était un privilège.»
Ce qui, au départ, avait fonction de défouloir, voire de catharsis pour Sylvain comme pour Charles, tandis que Fred y trouvait là une nouvelle occasion de jouer sans autre arrière-pensée, s’est transformé en projet durable. La semaine dernière, K-XIX achevait sa dernière séance dans le Studio des Forces Motrices, chez David Weber, au sein même de l’Usine. Un album verra le jour, une tournée devrait suivre. Le nom du groupe? Un jour, sans doute, la situation sans précédent qu’a imposé le Covid-19 sera derrière. Il s’agira alors de rebaptiser le trio. Avec ou sans «K» germanisant et chiffres latins.
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