Jusqu'au cou dans le bain parisien à la piscine Molitor
Cet établissement municipal inauguré en 1929, puis devenu scène underground, est aujourd'hui un hôtel.

Un an avant Les Bains Douches, eux aussi transformés en hôtel de luxe, la piscine Molitor sort la tête de l'onde en 2014, après une longue traversée du désert et une spectaculaire réhabilitation. Ces deux établissements parisiens ont en commun une histoire d'eau; on peut aujourd'hui y loger si l'on cherche une touche d'originalité pour un séjour à Paris; mais la comparaison s'arrête là.
Même si elle a connu des années noires, même si elle garde le souvenir de nuits de délire, Molitor, à un jet de pierre du Bois de Boulogne, du Parc des Princes et de Roland-Garros, est née au grand jour d'une belle idée: le sport, c'est bon pour la santé. Au lendemain de la défaite de Sedan face aux armées prussiennes, en 1870, les généraux français débriefent. Conclusion: leurs soldats sont incultes. En friche sur le plan scolaire, moral, civique et surtout, physique. Des petits bras. Si l'on veut gagner la prochaine fois, il faut tout changer. Et que ça saute!
Loisirs nautiques à la mode
En 1880, Jules Ferry rend donc obligatoire la gymnastique à l'école pour tous les garçons de plus de six ans. Et en 1921, la France se dote d'une administration chargée de l'éducation sportive. Les années 20 ne sont pas que folles, elles savent aussi se montrer vertueuses: il convient d'apprendre à nager. Les loisirs nautiques deviennent à la mode en France, après l'Allemagne et la Grande-Bretagne, et Paris ouvre entre 1920 et 1930 quinze piscines municipales.
Ces bassins, on les construit à la place des anciennes fortifications qui protégeaient la capitale jusqu'en 1914-1918. Septante-huit km2 sont libérés par la démolition de l'enceinte Thiers. Piscines, stades et pistes cendrées se glissent dans la brèche. «C'est dans ce contexte qu'Antoine Berverge, un entrepreneur privé, convaincu que «la natation prévient les noyades et permet un perfectionnement physique rendant l'homme plus fort au travail», présente en 1928 au conseil de Paris son projet, Les piscines plages d'Auteuil», racontent Ludovic Roubaudi et Thomas Jorion dans leur passionnant ouvrage, bellement illustré, Molitor - Ceci n'est pas une piscine. «Il s'agit de construire porte Molitor, sur les terrains dézonés des anciennes «fortifs», deux bassins: l'un d'hiver et couvert, l'autre découvert pour l'été.»
L'acte officiel de naissance de Molitor est signé, assorti d'un bail de trente ans. Des leçons de natation seront données gratuitement aux écoliers. En août 1929, la piscine municipale est inaugurée par Johnny Weissmuller. Il n'est pas encore Tarzan, mais déjà une star puisqu'il a remporté, aux Jeux olympiques de Paris en 1924 notamment, cinq médailles d'or en natation et une de bronze en water-polo. C'est dire si ses leçons de crawl à Molitor ont dû être suivies avec zèle…
Surtout que le bel Américain vient de tourner son premier film – dans lequel il apparaît en Adonis vêtu d'une seule feuille de vigne – et qu'il travaille comme mannequin pour les sous-vêtements masculins Bradley, Voohees & Day. Il ne se montre pas avare de ses pectoraux au bord des bassins dessinés par l'architecte Lucien Pollet.
Johnny parti, le Tout-Paris continue de se presser à Molitor. C'est l'endroit où il faut être. Boris Vian y allonge de belles brasses élégantes. L'esthétique Art Déco travaillée avec soin par Pollet, les cabines de bain aux portes bleues, les rambardes de laiton doré, les verrières et les hublots en font un paquebot sur lequel chacun rêve d'embarquer. Certains jours d'été, jusqu'à 3000 baigneurs font trempette ou se prélassent au solarium. Le premier bikini s'y pavane en 1946, les seins nus y jouent la provoc' quelques années plus tard. Une patinoire s'y installe chaque hiver. L'engouement pour Molitor durera soixante ans.
L'année 1978 marque pourtant le début du déclin: la glace, cet hiver-là, n'est plus posée en raison du coût exorbitant de l'opération. Dix ans plus tard, les bassins sont laissés à l'abandon, vidés, Molitor ferme ses portes. Le 27 mars 1990, son cœur s'arrête de battre. Devenu bâtiment historique, elle est immergée dans le formol. Ludovic Roubaudi et Thomas Jorion: «La seule source de vie restante est le bar de la piscine. Ce bistrot, ouvert en 1930 (…), refuse de rendre les armes. Son bail, contrairement à celui de Molitor, n'est pas arrivé à expiration. Alors la famille qui le gère fait front. Elle lève le rideau de fer aux aurores (…) et puis, à la nuit tombée, elle baisse sa couverture de fer sans la fermer tout à fait pour ne pas mourir à son tour.»
Mais Molitor a du ressort. Pendant dix ans, elle connaît une autre vie, souterraine. Taggueurs et graffeurs colonisent murs et coursives. Concerts et raves improvisent des nuits blanches sans limites. Bertrand Delanoë, maire de Paris, fait de la rénovation de cette piscine un projet de campagne. Colony Capital France, alors propriétaire du Paris-Saint-Germain, emporte le marché: Molitor ne sera pas rénovée, elle sera «refondée».
Une galerie d'art en mars 2017
Elle est aujourd'hui un hôtel 5 étoiles appartenant au groupe Accor, doté de 124 chambres avec vue sur le bassin extérieur chauffé à 28 degrés. Sa brasserie est ouverte à tous, alors qu'un club de sport et de yoga ainsi qu'un spa sont réservés aux membres. Une galerie, La Villa Molitor, offrira ses espaces aux artistes orientés street art dans quelques semaines, dès le 16 mars 2017.
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