Production maison«Jouer son rôle» ne fait pas un coup de théâtre
La Comédie confie à Jean-Yves Ruf la mise en scène d’une nouvelle pièce du Genevois Jérôme Richer. Avec un bonheur relatif.

Vous vous engouffrez dans la salle modulable de la Comédie. Votre placeur, à l’instar des autres membres du staff d’accueil, est vêtu du t-shirt corporate portant l’inscription «Le beau rôle». Amusant, pensez-vous alors que vous êtes venu assister à la création de «Jouer son rôle». Dans la foulée, vous vous demandez si ce titre du dramaturge Jérôme Richer recoupera le contenu de sa série de podcasts interrogeant la masculinité, «Changer de rôle», diffusée sur Radio Bascule tout au long de 2022.

La réponse sera non, quoique. Le matériel documentaire s’est ici mué en fiction, tout en prolongeant une réflexion sur le rôle assigné aux hommes, que ce soit par leurs parents ou par une société patriarcale. Le thème trouve logiquement un porte-voix en Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, le binôme programmateur du théâtre eaux-vivien. En effet, après une saison faisant la part belle aux «Trois Sœurs» de Tchekhov en 2019, NKDM a cette année déplacé sa focale vers le lien fraternel en alignant coup sur coup à son affiche «Les Frères Karamazov» en décembre, puis «Mes Frères», aussitôt suivi du présent duo dont il a confié la mise en scène au transfrontalier Jean-Yves Ruf – à qui l’on doit notamment un formidable «Le Bizarre» signé Fabrice Melquiot.
Erreurs d’aiguillage
Qu’est-ce qui ne joue pas cette fois? Une faute de jugement d’abord. Placer un macchabée bien en évidence dans son cercueil au milieu d’une scénographie aussi soignée qu’épurée (Fanny Courvoisier) suppose qu’on lui attribue une fonction saillante. Or le mannequin figurant le défunt père ne désigne qu’une absence: nulle adresse, nulle émotion, à peine un élément de décor. Le cadavre est un trou blanc, qui n’absorbe ni geste, ni réplique, ni attention de la part des comédiens.

Un défaut dramaturgique, ensuite. Le dialogue qui confronte les deux fils, le trader de droite marchant dans les pas du paternel et le rebelle photographe humanitaire (coucou Tiago Rodrigues et «Dans la Mesure de l’impossible») répond à des conventions naturalistes au service du spectateur, mais au mépris de toute crédibilité relationnelle. On tangue jusqu’à la nausée entre le théâtre de papa et l’ambition contemporaine. Un décalage qui tient peut-être aux compromis sur le texte auxquels les frangins auteur et metteur en scène ont dû se livrer.
Enfin, une erreur de casting. Bien qu’on ne saurait reprocher quoi que ce soit au Belgo-Suisse Thibaud Evrard ou au Genevois David Gobet, quiconque se souvient d’avoir vu ce dernier composer un frère ennemi d’une autre trempe dans «D’Eux» (la pièce de Rémi De Vos présentée à la Fondation Bodmer en 2021), ne pourra que regretter ce précédent emploi. Quant à Jérôme Richer, son livret le révèle si fin dans la déconstruction des clichés ou la peinture des contradictions humaines, qu’on le verrait bien, après l’enchaînement express de deux pièces consécutives, ouvrir son rôle de dramaturge à celui d’essayiste, tout simplement.
«Jouer son rôle», jusqu’au 29 jan. à la Comédie, www.comedie.ch
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