Jeune, électrique, ambitieuse, une nouvelle scène est née à Genève
Ils ont 20 ans et revendiquent le mélange des styles. Depuis la salle du Terreau, ces musiciens réunis en collectif réveillent la culture alternative.

C'est une vague de fond, les prémices d'un mouvement culturel. Pour prendre la mesure du phénomène, il faut sortir tard dans la nuit. Minuit, une heure du matin… Le bar est ouvert, la sono crache. Faim de sons, faim de monde. Dans les sous-sols de la ville, une nouvelle génération d'artistes partage ses trouvailles musicales, suivie par un public grandissant. Genève s'anime de plus belle. Un nouveau cycle commence.
Ce qu'il y a d'inédit? Des scènes «émergentes», on en repère régulièrement, c'est vrai. Mais celle-ci se fiche totalement des étiquettes, ce qui constitue une première. Hip-hop, électronique, latino, afro, rock, les barrières de styles n'ont plus cours, les communautés se mélangent. Identité floue, identité ouverte. Génération zapping, dites-vous? De leurs parents, ils ont tout pris, sans distinction. Et qu'importe la discipline! Ici, musiciens et DJ partagent leurs ambitions avec autant de graphistes, illustrateurs, vidéastes et stylistes. Tout y est, tous les arts, sans hiérarchie. «Pas de style, mais tous les styles, exactement comme Internet», répond l'un d'eux. Le Web, c'est ce grand fourre-tout avec lequel ces gens-là ont grandi. Et tout ce beau monde, quoiqu'encore discret aux yeux du reste de la société urbaine, n'aurait pas la même allure s'il n'était cet autre constat: réunie en collectif, en association, en label, organisant ses propres soirées, cette nouvelle vague est à ce point dynamique et créatrice qu'elle met Genève à l'avant-garde musicale.
De nouveaux lieux
Ils ont 22, 23 ans, guère plus, et n'ont pas connu les squats mais à leur tour ouvrent des lieux, Le Terreau au centre-ville, Central Station aux Grottes, La Tortue à Chêne-Bougeries, qui complètent les plus anciens Usine, Gravière, Écurie et Motel Campo. Il faudrait parler des raves encore, soirées en plein air dont cette jeunesse est friande. Une géographie se dessine, inscrite dans la précédente, qui la développe.
C'était l'autre soir au Central Station. Dans la cave de ce petit bar cosy, au cœur des Grottes, résonne un set mêlant techno hard-core et R'n'B, basses puissantes issues de la trap contre synthétiseurs planants. Une variété inouïe de sons, qui se percutent, se répondent, tandis qu'une assemblée intimiste chaloupe en cadence. A la manœuvre, un grand gars tout mince, long visage d'ado, doigts habiles filant droit sur les potards. Son nom? Doublecryst, 22 ans, du collectif Strana Corpus. Etait-ce l'éclectisme de son set DJ qui a séduit? Ou son caractère presque dilettante, tout en faisant acte d'une précision affolante? Quelle qu'en fût la raison, le déclic a eu lieu. Qui nous ouvre subitement les oreilles et les yeux. Cette même nuit, le Pachinko à deux pas dégorgeait lui aussi d'une électronique qui louvoie, beats obscurs et vibrations fascinantes. Signé Aris 1201, personnage masqué. Et la nuit qui s'allonge et qui bat le rappelle. Rive droite toujours, à présent on file au Terreau.
«La lune a détrôné le soleil, nous commençons un nouveau cycle.» Cette phrase, on la découvre en frontispice du manifeste signé par le Collectif Nocturne, à l'origine du Terreau. Gonflé? Cet endroit est particulier, il est vrai. Ouvert en mai 2016, le local en sous-sol de l'immeuble abritant la salle du Faubourg constitue une véritable plate-forme pour pas moins de 90 associations. Géré par le Collectif Nocturne, lui-même né d'une initiative du Parlement des jeunes, Le Terreau permet ceci, notamment: outre les nombreuses activités d'associations, universitaires, collégiennes, communautaires, culturelles, lorsqu'ils sont eux aussi regroupés en associations, une scène gratuite, dotée d'un bar et d'une sonorisation. Cette proposition répond à une demande bien réelle. Sur le modèle associatif
Ozadya et les autres
C'est au Terreau que la nouvelle scène dont nous parlons a démarré, donné ses premières soirées. Ozadya, Strana Corpus, Mo'Funka Inc, Ground Zero, Som Squad, Antidote, voilà autant de collectifs dont les sons bigarrés, qu'ils soient techno, funk, hip-hop ou pop animent les nuits du Terreau. Mais tout cela ne serait pas possible s'il n'y avait ce grand organisme faîtier, le Collectif Nocturne fédérant ces nombreux acteurs. «Avec trois soirées par semaines, Le Terreau est une plate-forme importante, qui permet aux nouveaux venus de se faire connaître, résume Richard Gruet, coprésident du Collectif Nocturne. L'obstacle principal que rencontrent les artistes émergents, c'est, encore aujourd'hui, le manque de place, le manque de lieux. Quant aux acteurs culturels plus anciens tels que l'Usine, tous sont devenus des institutions et deviennent plus difficiles d'accès pour les jeunes artistes.»
Mais la situation évolue. Après avoir fait leurs preuves au Terreau, ou à l'Ecurie des Cropettes comme dans les bars de la place, certains finissent par être invités à l'Usine. C'est le cas d'Ozadya, ce «crew» hip-hop à consonance tropical, lequel a pu se produire à La Gravière cet été, avant de faire un carton au Zoo en septembre. Pour les membres d'Ozadya, désormais, la reconnaissance locale s'accompagne d'une ambition internationale (lire ci-contre).
L'envie y est de faire bouger la scène genevoise. Mais encore faut-il trouver les moyens de sa fin. Financièrement, comment faire? «Nous tâchons de limiter le plus possible nos dépenses grâce à la présence, très forte, des bénévoles, explique Richard Gruet. Les prix – entrées, boissons – doivent rester accessibles à toutes les bourses. Notre objectif est de rémunérer tous les artistes. Nous avons par ailleurs reçu 20 000 francs de la Ville, soit 15 000 pour la coordination et la gestion de la salle, et 5000 pour les cachets.»
Réunir les générations
Un mouvement est lancé, qui rappelle, dans une certaine mesure, la naissance il y a trente ans de la scène alternative genevoise avec, moment fort en 1989, l'ouverture du centre culturel autogéré L'Usine. Cette dernière reste un modèle de référence. «Nous croyons nous aussi au fonctionnement associatif», clame le comité du Collectif Nocturne, 24 ans de moyenne d'âge. Avant de relever le changement de contexte: «Ouvrir un lieu, aujourd'hui, est beaucoup plus difficile qu'il y a 30 ans. Pour des raisons légales, notamment, avec la nécessité qu'un individu prenne seul la responsabilité d'un événement.» Le contrôle de l'Etat s'est accru, rappellent les gens du Collectif Nocturne. Ces derniers, contrairement à leurs aînés, ne «cherchent pas la confrontation». «Investir un bâtiment? Nous n'avons pas le poids. Pour ouvrir un nouveau lieu en 2017, pour défendre une nouvelle scène, il faut faire avec les autorités.» Ce qui n'empêche nos jeunes interlocuteurs de caresser, eux aussi, de grandes ambitions: «Nous sommes en recherche d'un nouveau lieu en plus du Terreau, d'une structure professionnelle pour y programmer uniquement des musiciens locaux émergents.»
Et les anciens, qu'en pensent-ils? «Ce sont les jeunes qui, en quantité, font le poumon de la vie nocturne. Ce n'est pas faire du jeunisme que dire cela, mais admettre le temps social.» Paroles de connaisseur: on apprécie Martin Conod comme chanteur du Roi Angus, qu'il a monté avec des musiciens d'à peine 20 ans; en sa qualité de codirecteur du label genevois Cheptel, le trentenaire collabore avec Le Terreau. C'était le 30 septembre, pour une soirée de concerts croisant les groupes plus «chanson» de Cheptel, tels que Pandour ou Musique Chienne, avec le tout jeune label Eica et ses artistes électroniques, les Gaspar Sommer, Idle et Mokship. «Nous ne voulons plus rester dans l'entre-soi. Le festival Baz'Art, les concerts du Vélodrome, de la Cave 12, le Théâtre de l'Usine aussi sont précieux. Mais on s'y retrouve très souvent avec le même public, les 35 ans et plus, dont je fais partie», poursuit Martin Conod. Qui conclu ainsi: «Le but ultime, pour tous, jeunes ou non, c'est de faire voir ce que l'on fait. Réunir les générations crée un dynamisme.»
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