
Vandœuvres, 21 février
Nos sociétés sont dans une phase d’interrogation sur les rapports entre religion et société. Une des questions qui refait périodiquement surface est celle du blasphème, ou de la critique et de la satire des religions. Faut-il protéger les convictions des croyants en interdisant les propos ou représentations qui insultent leurs croyances ou leur divinité? Beaucoup s’attendraient à ce que les chrétiens évangéliques, étant vus comme très religieux, soient de ceux qui veulent interdire le blasphème.
Bien sûr, qui aime son Dieu souffre de le voir insulter et les croyants se garderont de blasphémer leurs propres convictions. Pourtant, à ce jour, je n’ai jamais entendu d’évangélique revendiquer l’interdiction du blasphème. Il y a de bonnes raisons à ce fait.
Tout d’abord, l’accusation de blasphème a souvent été utilisée pour persécuter les chrétiens ou aujourd’hui dans certains pays de tradition islamique. Vouloir interdire le blasphème légitimerait ceux qui font de même ailleurs. Ensuite, les chrétiens croient à un Dieu qui est assez puissant pour défendre son honneur lui-même. En tant que théologien, je ne peux que déconseiller à chacun de blasphémer, mais les conséquences sont entre la personne et Dieu. Du reste, Jésus assurait que tous les blasphèmes prononcés contre lui seraient pardonnés.
Troisièmement, protéger une opinion contre les remises en questions nuit à la recherche de la vérité. Or, la vérité est mieux servie par la recherche libre et l’argumentation raisonnée que par l’imposition d’une vérité par l’État.
Il est vrai que l’on peut argumenter contre les convictions d’une personne sans insulter ses croyances, mais la différence est parfois subtile et peut dépendre des sensibilités. Il vaut bien mieux en faire une question de savoir-vivre qu’une question de droit, tant qu’on n’atteint pas l’appel à la haine ou d’autres excès. Indépendamment des convictions de chacun, il est bon de vivre dans une société libérale, où les opinions peuvent être remises en cause. Cela demande à chacun d’être prêt à entendre des propos qui le choquent et interdit qu’une opinion soit privilégiée par une protection de l’État. C’est une maturité que chacun doit acquérir, pour que tous profitent de la liberté de conviction.
Jean-René Moret, pasteur à l’Église évangélique de Cologny
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Lettre du jour – Interdire le blasphème?