Immigration: «Nous nous sommes trompés depuis trois ans»
René Schwok décrit un débat absurde, où rien ne s'est passé comme prévu depuis le oui à l'initiative UDC il y a trois ans aujourd'hui. Et l'avenir? Il paraît tout aussi incertain. Constat.

C'était il y a pile trois ans. Le 9 février 2014, les Suisses acceptaient à 50,3% l'initiative UDC «Contre l'immigration de masse». Le pays plongeait dans une période d'incertitudes et de débats. René Schwok, directeur du Global Studies Institute, à l'Université de Genève, et spécialiste des questions européennes, a suivi ces péripéties. Aujourd'hui, il avoue avec un certain amusement qu'il y perd son latin, tant les choses ne se sont pas passées comme les politiciens et les experts les prévoyaient. Il répond à nos questions.
Nos dossiers: – Libre circulation – Initiative UDC «Contre l'immigration de masse»
Quel est votre bilan, trois ans après le vote?
Dans ce dossier, nous nous sommes tous trompés. Rien de ce qui a été annoncé ne s'est réalisé.
C'est-à-dire?
Rappelez-vous que les sondages anticipaient une défaite de l'initiative de l'UDC entre 7% et 15%! Ensuite, certains ont affirmé de manière péremptoire que ce oui ne pouvait conduire qu'à l'isolement de la Suisse ou à une adhésion à l'UE. Rien de tel ne s'est produit. L'UDC, elle, prédisait que l'on pouvait remettre en cause la libre circulation des personnes sans dénoncer les accords bilatéraux. Maintenant, elle reconnaît que c'est faux et lance une initiative populaire pour clairement abolir ces accords bilatéraux, sachant qu'une suppression de la libre circulation des personnes entraîne automatiquement la fin des Accords bilatéraux I du fait de la clause guillotine. Et personnellement, j'imaginais que le Conseil fédéral mènerait des négociations dans lesquelles tant l'UDC que l'UE finiraient par faire des concessions.
Pourquoi s'est-on à ce point trompé?
Principalement parce que nous sommes partis d'une hypothèse de départ logique, à savoir qu'une loi d'application d'un article constitutionnel, cela doit servir à l'appliquer… Eh bien non, ce n'est pas à cela que sert la loi adoptée par le parlement en décembre 2016. Le Brexit est également venu compliquer les choses en empêchant une négociation avec l'UE. Par conséquent, tous nos raisonnements se sont révélés erronés.
La volonté populaire a été bafouée?
Clairement, le parlement a décidé de ne pas appliquer l'article constitutionnel voté par le peuple. Les solutions qu'il a adoptées sont un écran de fumée. Il est juste prévu qu'en cas de chômage supérieur à la moyenne dans une profession ou une région les employeurs devront annoncer leurs postes vacants aux offices régionaux de placement et convoquer à un entretien les candidats qui y sont inscrits. Mais ils ne devront pas justifier un éventuel refus d'engagement. Cela n'a rien de contraignant. On est très loin du texte de l'initiative: des contingents et une préférence nationale.
Le Conseil fédéral s'est-il comporté comme on aurait pu l'anticiper?
Il est étonnant de voir à quel point notre gouvernement a joué un rôle marginal dans la formulation de la solution. Celle-ci a surgi tout à coup à la fin de l'été passé. Des personnalités PLR alémaniques ont exercé un rôle prépondérant dans sa conception. En réalité, ces acteurs ont surtout défendu des intérêts économiques. Rassurez-vous, ce n'est pas par amour de l'Europe! Nous avons d'ailleurs sous-estimé le rôle que joueraient les milieux économiques dans ce débat.
Et les partis politiques?
Egalement inhabituel. Ainsi, le Parti socialiste n'a pas conditionné son appui au PLR à l'adoption de mesures d'accompagnement comme il l'avait fait lors de référendums précédents. Et c'est le PDC qui a failli faire tout capoter au parlement – un parti centriste, proeuropéen et consensuel.
A la fin de 2016, la Suisse a dépassé les deux millions d'étrangers. N'y aura-t-il pas un retour de balancier?
C'est vrai, les partisans des accords bilatéraux ont gagné à court terme, mais c'est peut-être une victoire à la Pyrrhus, une pause avant la «mère des batailles». Tout cela pourra être exploité par l'UDC.
Que dire du référendum lancé contre la loi d'application?
Là encore, rien ne s'est passé comme prévu. L'UDC a annoncé, avant même le débat aux Chambres fédérales, qu'elle ne lancerait pas ce référendum. Contrairement à tous les traités de science politique, elle indiquait à l'avance qu'elle ne voulait pas utiliser cette menace pour peser sur les débats. Pas banal. Et, pour couronner le tout, c'est un socialiste, proeuropéen affirmé!, Nenad Stojanovic, qui pousse au vote populaire. De nouveau, étonnant!
Et l'initiative RASA, qui demande d'annuler le vote du 9 février 2014, sur laquelle les Suisses devront sans doute se prononcer?
Là aussi, c'est paradoxal. Ce texte avait été lancé par des proeuropéens pour renverser le vote du 9 février. Et, aujourd'hui, il est en train de devenir du pain bénit pour l'UDC car il est peu probable qu'il rallie la majorité du peuple et surtout des cantons. Ce serait donc une victoire de l'UDC servie sur un plat d'argent. On en arrive même à la situation où les partisans de RASA sont devenus les principaux pourfendeurs de la «loi d'application qui bafoue la volonté populaire»…
La solution viendra peut-être des deux contre-projets à cette initiative mis en consultation par le Conseil fédéral?
Ce sera difficile de convaincre le peuple avec ces variantes qui me paraissent embrouillées. Par exemple: la première option prévoit de préciser que l'article 121a de la Constitution doit tenir compte des accords internationaux d'une grande portée pour la position de la Suisse en Europe. Mais on ne sait toujours pas de quels accords il est question.
L'avenir vous paraît bien incertain!
Pour le moins. Il faut ajouter à ce tableau que l'ASIN et l'UDC ont annoncé une initiative pour résilier l'accord sur la libre circulation des personnes. De plus, le ministre des Affaires étrangères, Didier Burkhalter, espère toujours coupler le dossier de l'immigration avec celui d'un accord institutionnel avec l'UE. Mais il lui manque le soutien de ses collègues au sein du Conseil fédéral, qui préfèrent la «stratégie de la procrastination». La position de Bruxelles n'est pas plus limpide, l'UE a clairement indiqué que le dossier suisse ne devait pas embrouiller le dossier britannique, qui est prioritaire.
Au final, la situation est encore plus incertaine qu'il y a trois ans. Et si toutes nos prévisions ont été autant erronées ces dernières années, le comble serait qu'elles deviennent justes au moment même où les scénarios sont encore plus nombreux et encore plus confus.
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Les proeuropéens manifestent
Le Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes) commémore à sa manière cet anniversaire. Avec son organisation de jeunesse, la Young European Swiss (Yes), il manifestera ce jeudi dès 7 heures dans les gares de Lausanne et de Berne. Des dépliants seront distribués pour encourager les gens à publier une photo d'eux sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #MerciLCP ou #ChezMoiCestlEurope.
Favorable à un vote sur l'initiative RASA, le Nomes estime aussi que le Conseil fédéral doit proposer un contre-projet. «Nous sommes très contents que le parlement ait mis en place une loi d'application de l'initiative «Contre l'immigration de masse» compatible avec la libre circulation, explique Caroline Iberg, cosecrétaire général du Nomes. Mais il faut clarifier la volonté populaire: nous avons toujours dans notre Constitution un article qui remet en cause ce principe, et cela reste une menace pour l'avenir.»
Le Nomes veut aussi que la Suisse intègre pleinement le programme Erasmus+. Alors qu'on apprenait le 4 février que les négociations ont été suspendues, Caroline Iberg souligne que «les solutions de bricolage actuelles ne sont pas adaptées». C.Z.
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