L’auteur sort son 18e romanIl est comment, le nouveau livre de Foenkinos?
David Foenkinos, son nombril et le nôtre. Dans «La famille Martin», l’écrivain radiographie ses manies et obsessions avec une autodérision jouissive. Diagnostic d’un farceur tragique.

À 46 ans, David Foenkinos se l’avoue enfin: «Vous avez une tête d’écrivain», lui assène Mme Tricot dans «La famille Martin», son 18e roman. Et de dérouler une histoire qu’il pourrait porter en écharpe autour du cou, tant elle gratte et étrangle un héros qui lui ressemble en diable. Dès les premières pages, l’auteur avoue le stratagème. Jadis couronné du prix Renaudot, célébré par des milliers de fidèles en 40 langues, le narrateur déprime en panne d’inspiration.
Avec l’autodérision qui caractérisait jadis «Qui se souvient de David Foenkinos?» il décide de suivre la première personne rencontrée en bas de chez lui. C’est Madeleine, mère de Valérie Martin. Ou c’est David, écrivain, cinéaste, dramaturge hyperactif. Ou un autre peut-être, chroniqueur d’un écosystème lambda au bord du gouffre existentiel. De là, les quiproquos s’échafaudent. Ainsi de l’ado Martin qui lui déclare qu’il aurait préféré Amélie Nothomb pour documenter sa vie. «Ah, j’ai un spécimen de ce genre à la maison, qui s’ennuie de sa propre conversation… Ça, c’est une observation authentique. En même temps, j’adore la douceur de cet âge, sa léthargie inquiète, l’inquiétude du devenir. Mais je ne suis pas un écrivain d’autofiction vampirique. Je vis la littérature comme un voyage hors de moi. J’ai même un goût assez absolu du secret, Scorpion ascendant Scorpion.»
Alors, dans «La famille Martin», c’est vous ou pas?
Il y a beaucoup de clins d’œil à mes précédents romans, comme une radiographie de thèmes récurrents. Deux sœurs qui se brouillent, une vieille dame qui prend son destin en main, un couple bancal… Il y a une grosse part de moi, mais il s’agit des Martin. Ce patronyme, notez, se dissout dans l’anonymat, c’est le meilleur qu’un psychopathe puisse prendre, impossible à pister sur Facebook, aussi uniforme qu’un appartement-témoin.
N’êtes-vous pas un adepte du subterfuge?
J’ai toujours aimé les paris. Maintenant… que j’aie suivi ce dispositif ou pas, ça relève de l’anecdote. À force de tout organiser pour que cela paraisse authentique, ça le devient un peu. Le mélange prend une texture réaliste. Et n’est-ce pas le plus pur terrain de la littérature?
« Je pars du postulat que toute vie, même la plus ordinaire, peut passionner»
Mais Tolstoï, un de vos auteurs de chevet, ne disait-il pas que les familles heureuses n’ont pas d’histoire?
Et que les familles malheureuses le sont chacune à leur façon, c’est l’ouverture d’«Anna Karénine». Moi, je pars du postulat que toute vie, même la plus ordinaire, peut passionner. Chacun passe par les difficultés vécues par la famille Martin. Les enfants qui grandissent, le désir qui rapetisse, c’est d’une banalité! Pour anodine, cette douleur n’en demeure pas moins une souffrance qui, portée par un individu, peut prendre une dimension inouïe.
Mais vous hésitez entre rires et larmes.
Je voulais montrer combien, de nos jours, nous voulons sans cesse échapper à la contrainte de l’ennui. Mon romancier est obsédé par la quête de divertissement. Il lui faut rendre son bouquin attractif, c’est une question de devoir et moi-même, d’ailleurs, j’obéis à cette loi contemporaine tout en essayant de ne pas faire l’économie du poids tragique quant à mes personnages. C’est mon ode au romanesque.
Jusqu’à l’autodérision: quand le romancier patine, il fait diversion avec une anecdote sur Karl Lagerfeld.
Un petit coup de Lagerfeld, et ça repart, oui! En tout cas, même si quelqu’un n’aime pas mon livre, il apprendra plein de trucs sur ce destin incroyable.
«J’ai toujours cru aux vertus de l’humour»
Mais vous, avez-vous des bottes secrètes, comme l’artisan boucher en a pour ficeler son jambon?
J’adore cette image, car je ne suis pas l’«Écrivain littéraire». Moi, je n’ai pas écrit avant l’âge de 16 ans. Sans avoir jamais eu le sentiment que l’écriture s’apprenne, je la sais liée à un savoir-faire un peu étrange. C’est dans ce laboratoire romanesque que ce livre furète.
Avec la lucidité de douter: «Les gens vont-ils vraiment lire ça?»
Là, je vais à l’encontre de mon parcours. Prenez «La délicatesse», qui a dépassé le million d’exemplaires. Si j’avais été obsédé par la rentabilité, le succès, je me serais répété. Au contraire, j’ai toujours eu besoin de me réinventer ailleurs, dans des allers-retours vers la légèreté. Quand j’écris «Charlotte», poétique, sombre, je pensais même que mes lecteurs ne suivraient pas.
Reste que vous restez en connivence avec le lecteur, plus qu’avec les critiques qui «massacrent».
J’ai toujours cru aux vertus de l’humour. Je pousse à fond le gag de l’auteur obligé de parler de lui car il n’a pas le choix et qui finit débordé par ses créatures. Cette énergie du risible me plaisait, jusqu’à mettre en scène la méchanceté un peu gratuite dont «Le masque et la plume» a pu user contre moi ou Joël Dicker, Olivier Adam. Quant à la connivence entre le lecteur et l’auteur, c’est à mi-chemin que le livre se crée.
«La famille Martin», Éd. Gallimard, 240 p.
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