Aux 6e Rencontres 7e art Lausanne Huit films qui planent «Entre rêve et réalité»
Le directeur du Centre d’études cinématographiques à l’Université de Lausanne donnera un cours magistral sur quelques toiles fantasmagoriques célèbres. Indices.

«Entre rêve et réalité», c’est le terrain de jeu des cinéastes depuis toujours… L’équipe de programmation des Rencontres et Alain Boillat, directeur du Centre d’études cinématographiques à l’Université de Lausanne, ont sans doute passé quelques nuits blanches avant de se résoudre à choisir les huit films patrimoniaux qui ancrent les 6e Rencontres 7e art Lausanne dans sa thématique, «Entre rêve et réalité». «Miracle à Milan», «L’année dernière à Marienbad», «Dreams», «Lost Highway»… quelques-uns des titres au programme. Vaste étude?
«En théorie, c’est sans doute très vague, sourit le chercheur. Mais beaucoup de titres n’étaient pas disponibles, obligeant à un tri. Au final, nous nous sommes efforcés de les choisir en accord avec le court métrage qui les précède, souvent signé de Georges Méliès.»
«Dans «L’année dernière à Marienbad» où toutes les frontières deviennent floues. «Ce n’était peut-être pas l’année dernière, peut-être pas à Marienbad», finit par dire un protagoniste…»
Dans l’histoire du septième art, Méliès se pose en artisan du rêve, pionnier des effets spéciaux, et côtoie les frères Lumière dont le réalisme des prises de vue effraie les foules. Alain Boillat veut garder ce flou entre ces deux pôles. «Ainsi dans mon cours magistral, je vais notamment évoquer «Les belles de nuit», de René Clair (1952), un film représentatif des films escapistes de l’après-guerre, qui suggère le rêve sans pourtant en donner un découpage précis. Au contraire dans «Vertigo» (1958) d’Alfred Hitchcock, par exemple, avec ses décors signés Dalí, les rêves relèvent de moments ponctuels, il s’agit là d’aller et retour avec la réalité.»
Le rêve enivre jusqu’à escamoter le réel. «Et Alain Resnais en donne une parfaite démonstration dans «L’année dernière à Marienbad» où toutes les frontières deviennent floues. «Ce n’était peut-être pas l’année dernière, peut-être pas à Marienbad», finit par dire un protagoniste…»Le jeu permanent de l’illusion tourne la tête des cinéastes depuis toujours. Alors que les progrès réalisés en matière d’effets spéciaux gonflent les superproductions à l’affiche, l’éternelle ingéniosité des auteurs demeure.
«Une lampe qui clignote chez David Lynch, va signaler la bascule de l’histoire. Il fait défiler l’image à l’envers, utilise le ralenti, la répétition. Tous ces procédés provoquent des effets d’étrangeté qui poussent le spectateur à rompre le lien familier entretenu avec le film.»
«Cette identité flottante mène aux mondes multiples perméables si prisés de nos jours par les cinéastes, les métaverses.»
Chez le Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, la coupure vient du folklore local, d’une croyance chimérique. Un Luis Buñuel se contentera de désynchroniser son et image, comme la voix de Catherine Deneuve dans «Belle de jour» qui, soudain, ne colle pas aux mouvements de ses lèvres. D’autres cinéastes, Federico Fellini en tête, créent une atmosphère indécise, constitutive d’un onirisme massif. «Voir «8 1/2», quand le film fantasmé devient la matière même du film.» Viennent encore ces personnages mutants, qui rentrent dans l’esprit d’autrui, s’approprient une pathologie. «Cette identité flottante mène aux mondes multiples perméables si prisés de nos jours par les cinéastes, les métaverses.»
«En fait, des trucages de Georges Méliès aux avatars de James Cameron, le support même emprunté par leur imaginaire en dit long, et de manière très concrète, sur l’étoffe même de leurs rêves.» À l’entendre zigzaguer entre ces géants, Alain Boillat semble sauter d’un continent à un autre. Un ruban magique lierait-il ces créateurs dans une temporalité qui nous échappe? «Sans aller jusqu’à les amalgamer dans une masse organique autonome, ces films n’obéissent pas au régime narratif commun. Leur logique procède souvent par association d’idées. Ainsi de l’écriture automatique à l’œuvre dans «Un chien andalou»: une image en génère une autre.»
Et comme ces cinéastes fonctionnent volontiers sur le recyclage de références, un réseau irrésistible se forme, glissant d’apparitions en citations. «J’aime ce concept, approuve Alain Boillat. Rabattre tous les possibles mis côte à côte, sans en privilégier un seul qui serait l’actuel.»
Note: «Entre rêve et réalité», cours magistral à Paderewski du prof. Alain Boillat (Me 8 mars, 13 h 30-17 h).
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