Critique de théâtreHomo ou hétéro, la prédation sexuelle vue du Poche
Mathieu Bertholet monte «Gouttes d’eau sur pierres brûlantes», un mélodrame de jeunesse signé Rainer Werner Fassbinder qui sonde les mécanismes du pouvoir au sein d’un couple gay.

Leopold, 35 ans, né sous la plume novice du cinéaste Rainer Werner Fassbinder en 1965, repensé en 2021 par le traducteur et metteur en scène Mathieu Bertholet, interprété sur le plateau du Poche par le très filiforme Jean-Louis Johannides. Son biotope: un salon feutré recouvert de fausse fourrure blanche. Ses atours: coiffure poudrée façon noble du XVIIIe, échasses interminables que viennent graduer bermudas, jarretières puis bottines. Son mode opératoire, enfin: au son d’une parole suave, allier le déplacement félin à l’étirement des membres comme un caméléon déroule sa langue. À coup sûr, la proie capitule, et ne demande même que cela. Vera – Valeria Bertolotto – en fit jadis les frais.

Franz (Aurélien Gschwind), lui, n’a que 20 ans – pile l’âge de Fassbinder au moment de jeter ce «Tropfen auf heisse Steine» sur le papier. Son abandon, après quelques verres et un dialogue engageant avec son séducteur, il l’implore carrément, s’effondrant au sol et reléguant sa compagne, Anna (Angèle Colas), au rang de souvenir encombrant. Six mois plus tard, captif des rets de son prédateur, il comprend sa douleur et, de sa sagesse juvénile, bascule dans la désillusion.

Dans le texte éminemment personnel du réalisateur des «Larmes amères de Petra von Kant», Mathieu Bertholet introduit quelques trous d’air indiquant les mailles du filet qui se resserrent: silences pleins incorporés aux répliques, ellipses dans les actions censées se dérouler en parallèle, chansons audibles en play-back que le duo d’actrices accompagne en choristes. Essentiellement, la mise en scène traduit l’univers baroque de l’artiste allemand sous la forme des costumes et de la gestuelle chorégraphique. Ce n’est d’ailleurs que quand elle se fait littérale, dans les séquences plus explicitement sexuelles, qu’elle montre des signes de faiblesse.

Avec leur titre énigmatique, ces «Gouttes d’eau sur pierres brûlantes» ont surtout pour mission de dialoguer avec le fameux «Qui a peur de Virginia Woolf?» d’Edward Albee, qu’Anne Bisang fera entrer au répertoire du même Poche dès lundi prochain 29 novembre, avec la même distribution d’acteurs et dans le même décor d’Anna Popek. Manière polyphonique de suggérer qu’entre les rapports de force au sein d’un couple hétéronormé et les jeux de pouvoir sapant un amour homosexuel, les dégâts dédaignent la frontière des genres.
«Gouttes d’eau sur pierres brûlantes» Jusqu’au 19 décembre au Poche, poche---gve.ch.
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