Il y aurait, paraît-il, 50’000 cochons de trop en Suisse. On pense aussitôt aux affres des éleveurs, obligés de congeler les carcasses qu’ils ne parviennent à vendre. Mais cela renvoie aussi au théorème du cycle du porc, infligé aux étudiants de première année en économie. Pour rappel, les fluctuations du prix du porc s’expliquent en bonne partie par les variations des quantités produites, qui dépendent à leur tour des prévisions établies par les éleveurs quant à l’évolution future des prix.
En gros, la séquence est la suivante: une hausse des cours, déclenchée par une augmentation de la demande, entraîne, avec un certain décalage (le temps d’engraisser davantage de cochons), un relèvement des quantités offertes qui arrivent sur le marché après que la demande, découragée par les prix plus élevés, s’en soit détournée.
Du coup, les cours retombent, conduisant nombre d’éleveurs à abandonner leur activité ou réduire leur cheptel, alors que la demande, vu les prix plus bas, repart à la hausse, et ainsi de suite. Nous serions donc, en Suisse comme ailleurs, au creux du cycle, avec la certitude qu’un jour les prix repartiront à la hausse. En France d’ailleurs, sur le marché du porc breton, le mouvement est déjà amorcé, puisque les cours ont de nouveau franchi les 2 euros.
Éloigné de celui du cochon mais tout aussi instructif, il y a ce qu’on pourrait appeler le cycle du sucre. Les fluctuations de cours y sont également importantes, pour des raisons un peu plus complexes, liées à des effets de substitution. Au Brésil, premier exportateur devant l’Inde, la production de sucre (de canne) dépend en bonne partie des variations du prix de l’éthanol qu’il sert aussi à produire.
Lorsque les prix pétroliers sont élevés, les producteurs de sucre sont incités à transformer leur récolte en éthanol, ce qui réduit les quantités disponibles sur le marché et en fait monter les cours. Quand ceux-ci baissent, les prix du pétrole rendent la production d’éthanol à partir du sucre moins intéressante (laquelle peut également, voire concurremment, dépendre des cours du maïs qui sert aussi à en produire).
«Lorsque les prix pétroliers sont élevés, les producteurs de sucre sont incités à transformer leur récolte en éthanol.»
En Suisse, c’est de la betterave sucrière que dépend l’offre indigène. Sur ce marché domestique très protégé, ce sont moins les cours mondiaux que le prix des intrants (énergie, engrais) et les parasites infectant la plante qui diminuent le rendement des cultures et découragent les betteraviers.
Sucre Suisse, la faîtière des fabricants, s’inspire néanmoins du marché mondial pour ajouter aux paiements directs de la Confédération un relèvement(8 francs par tonne, soit +16%) du prix d’achat des récoltes. En attendant que les surfacesréaugmentent et que la production redécolle, les prix se sont envolés, moins toutefois que chez nos voisins, où la hausse frise les 40%.
Il y a, enfin, la pénurie, inégalement répartie mais partout soulignée, d’ibuprofène et autres antalgiques, jusqu’aux plus puissants d’entre eux, les opioïdes, qui commencent à manquer dans les hôpitaux. Les hausses de prix sont là brutales pour certaines spécialités avancées, moins marquées pour la plupart des médicaments à prix réglementés, mais cela pourrait venir, car la demande, de plus en plus forte à l’échelle mondiale, dépasse furieusement une production ralentie pour toutes les raisons que l’on connaît (Covid, Chine, Ukraine, etc.).
C’est ainsi que les ballets de l’offre et de la demande continuent de faire valser le monde.
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Chronique économique – Histoires de porcs, de sucre et d’antalgiques