Opération Thune du CœurHavre de paix pour femmes SDF
À F.A.B, chemin Galiffe, on accueille deux fois par semaine les femmes en situation de grande précarité. L’ambiance y est chaleureuse, et la solidarité très forte.
Un sentiment d’être à la maison dès que l’on rentre. Non jugée. Non questionnée. Un endroit chaud, avec café-thé, repas, dessert, où les femmes peuvent trouver refuge deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, entre 11 h 30 et 14 h 30. Ça se passe au F.A.B., chemin Galiffe, dans les anciens bâtiments de l’Armée du salut.
F.A.B. est le diminutif de Femmes à bord. L’association à but social, qui fait partie des bénéficiaires de la Thune du Cœur cette année, est destinée aux femmes en situation de grande précarité. Née sur le Bateau Genève en 2019, F.A.B. a migré plusieurs fois avant d’atterrir au chemin Galiffe, au moins jusqu’en 2024, date du début du chantier de l’agrandissement de la gare Cornavin.
Pour faire tourner les activités – les deux accueils par semaine, ainsi que des sorties culturelles ou sociales – une bonne dizaine de bénévoles qui se répartissent les accueils du lundi et du jeudi, en comptant les membres du comité, de jeunes trentenaires qui ont porté à bout de bras le projet.
Deux salariées – l’une à 40%, l’autre à 20% – complètent l’équipe. Le jeudi où nous faisons ce reportage, quatre bénévoles, Leïla, Fanny, Claudia et Donatella, se chargent de l’accueil. Soit trois jeunes femmes travaillant à 75% ou 80% à côté – principalement dans le social – et une jeune retraitée, membre éminente du club international Soroptimist.
La cuisine se prépare ensemble, entre bénévoles et «fabuleuses», le nom que se sont donné les bénéficiaires, tout de même plus élégant que celui d’«usagères». Samia prend le contrôle des opérations et se mue volontiers en mère nourricière, soucieuse que chacune ait de quoi manger, malgré sa maigre silhouette.
«Qui veut de la salade? Reprends une tisane au miel, c’est bon pour toi!» Le tutoiement est de mise entre bénévoles et fabuleuses, les blagues fusent, et un observateur extérieur serait bien en peine de pouvoir distinguer les premières des secondes. Toutes mangent les spaghettis bolognaise à table, côte à côte.
Dormir à la rue, un cap marquant
Celles qui ont vécu de nombreuses années à la rue affichent un visage plus marqué. Elles sont aimablement saluées par les autres, qui semblent admiratives de leur survie et craintives d’en arriver là: dormir à la rue – faute d’abri disponible – est un cap marquant dans la détresse, que beaucoup espèrent ne jamais franchir.
La plupart des femmes sont SDF, mais pas toutes: certaines viennent pour fuir la solitude ou un voisinage pénible, à l’instar de Diana, qui a apporté ses pelotes pour tricoter des bonnets à ses petits-enfants.
Nadège se signe discrètement avant de manger. C’est la première fois qu’elle vient. Pour cette jeune femme burkinabée, cela fait quelques mois que la galère a commencé. «J’ai fini des études à l’Université de Genève. Malgré mes efforts, je n’ai pas encore réussi à trouver un travail, et je ne peux évidemment pas toucher le chômage, ni rester dans un logement étudiant.»
Elle vient de passer un mois à l’abri Richemont. Un lieu que fuient d’autres femmes, effrayées par la proximité des hommes dans cet hébergement d’urgence mixte. La limite des nuitées étant de 30 jours d’affilée, Nadège doit quitter les lieux et ne sait pas où elle dormira dans deux jours.
Elle parle des liens sociaux qui sont mis à rude épreuve dans sa situation: «L’empathie a une date de péremption. Mes amis sont touchés, mais pas au point de m’héberger quelque temps.» Loin de se résigner, Nadège a la conviction qu’elle s’en sortira. «Avoir la foi m’aide énormément. Je me sens accompagnée dans cette épreuve.»
«Parfois, être bien habillée ne me rend pas service pour obtenir de l’aide. Or obtenir des vêtements gratuits, même beaux, c’est facile. Bien plus que de trouver où dormir, ou un travail.»
D’autres parcours font état d’enfants en bas âge retirés et placés contre leur gré. La situation de précarité ou d’irrégularité de statut est-elle effectivement la seule raison du placement? Impossible de le vérifier.
Toutes en parlent pourtant avec des larmes dans les yeux. «Depuis mon accouchement, comme je n’ai pas pu faire de rééducation du périnée, j’ai des fuites urinaires, nous confie une fabuleuse. Ici, je peux demander des serviettes hygiéniques.» Beaucoup aussi racontent l’oubli d’une demande de renouvellement de permis, et la lente glissade de l’hospice à la rue.
Vernis à ongles et vide-dressing
Tous les âges, toutes les origines. Pas de contrôle des papiers ou des permis de séjour, ici. La seule condition est d’être une femme. C’est une formule qui plaît. «Je me sens en sécurité ici, on est entre nous, je peux souffler, on n’a pas l’impression d’être dans une structure sociale, juste entre copines», apprécie Alima, une Marseillaise, en peignant ses ongles d’un rose pink. Car l’atelier manucure est particulièrement apprécié à F.A.B., et nombreuses sont celles à piocher dans le panier contenant une centaine de vernis et à se faire les ongles sur un coin de table.
Ce jour-là, un vide-dressing est organisé. Chacune peut repartir avec cinq habits. Il y en a même des neufs: Fatima a eu la main heureuse avec une jolie doudoune blanche portant encore l’étiquette du magasin. Pourtant, la trentenaire dont l’allure ne laisserait jamais deviner qu’elle est SDF, s’inquiète tout de même: «Parfois, être bien habillée ne me rend pas service pour obtenir de l’aide: on se dit que je n’en ai pas besoin. Or, obtenir des vêtements gratuits, même beaux, c’est facile. Bien plus que de trouver où dormir, ou un travail.»
Aller ensemble dans des lieux mixtes
Claudia Mascarenhas Reis, 30 ans, a fait partie des instigatrices du projet. Comme toutes les membres du comité, elle y est bénévole à côté de son travail. «Le but de cette association, en plus de fournir des produits de première nécessité et un repas chaud, c’est surtout de développer des liens d’entraide entre les femmes. Par défaut, les femmes SDF sont très discrètes et fréquentent peu les lieux d’aide où il y a des hommes. Ici, elles peuvent faire connaissance, nouer des liens, et oser aller ensemble dans des lieux d’hébergement mixtes par exemple.»
Effectivement, on sent ici une solidarité qu’on retrouve peu dans d’autres centres d’hébergement: «Tu peux entreposer des affaires dans ma cave, pas de problème», annonce par exemple une femme qui a un toit à une autre qui n’en a plus.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.