Violence de genre au Théâtre Pitoëff«Habibi»: son refuge est sa baignoire
Silvia Barreiros met en scène les affres d’un couple dans lequel la violence s’est infiltrée inexorablement.

«Habibi», c’est mon amour, ma chérie ou mon chéri. Un joli mot affectueux qui est le titre du puissant huis-clos donné jusqu’au 5 juin sur la scène du Théâtre Pitoëff. La metteuse en scène et fondatrice de la Cie Apsara, la Genevoise Silvia Barreiros, est l’auteure de ce spectacle avec la dramaturge tunisienne Chema Ben Chaabane. Une comédienne et deux comédiens de Genève, Latifa Djerbi, Roberto Molo et Djamel Bel Ghazi, se partagent l’affiche avec deux nouveaux venus, Nedra Toumi et Mourad Dridi, rencontrés par Silvia Barreiros en Tunisie.
Au centre de la scène, une baignoire noire sur pieds d’argent indique où l’on se trouve. Elle a quelque chose de funèbre, cette baignoire. Y aura-t-il ici mort d’homme ou de femme? Des panneaux amovibles resserrant ou ouvrant l’espace de jeu sont couverts d’un imprimé noir et blanc de grand style.
Khaled Khouri, plutôt connu comme acteur, a très bien réussi cette scénographie. Nous voici dans un lieu central de la maison, la salle de bains, où chacun passe un moment dans la journée, mais pas toujours pour y faire sa toilette.
Une femme (Nedra Toumi émouvante) cherche refuge dans cette baignoire contre la dureté du quotidien. Son mari (Roberto Molo très juste) la rabaisse sans cesse, la menace, l’insulte, la frappe parfois. Ils sont un fils – Marc – que l’on voit nouveau-né, puis adolescent (Mourad Dridi), témoin pendant des années du fonctionnement révoltant du couple formé par ses parents.
Entre geste tendre et voie de fait
Silvia Barreiros a beaucoup réfléchi à ce phénomène bien connu, mais le plus souvent tu, qui conduit des gens qui s’aiment – ou qui s’aimaient – à laisser la violence se placer entre eux. Elle a animé des groupes et des stages en Tunisie sur ce qu’on appelle la violence de genre. L’homme, plus souvent que la femme, s’installe peu à peu dans le rôle du dominateur portant ses coups par la parole avant d’aller plus loin.
Cette oscillation entre geste tendre et voie de fait, mots gentils et paroles de haine, Silvia Barreiros la fait comprendre avec finesse et réalisme. À l’aide de scènes du passé – signalées par un éclairage spécial – on voit l’évolution qui mène de la séduction à l’humiliation, insidieusement. On s’étonne de la capacité de celle qui aime ou a aimé de supporter l’insupportable, en souvenir de ce qui a été, ou dans l’espoir d’y revenir…
Comme souvent, les proches – ici le couple haut en couleur formé par Latifa Djerbi et Djamel Bel Ghazi – ne font rien pour aider l’épouse à la dérive. De ce drame social si cruellement vrai, Silvia Barreiros réussit par la magie du théâtre, les choix musicaux et le brio des comédiens, à faire un spectacle très captivant et même réjouissant.
«Habibi» de Silvia Barreiros au Théâtre Pitoëff jusqu’au 5 juin. Rés. 076 483 86 83. En ligne sur pitoeff.goshow.ch
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