Théâtre Saint-GervaisGrandir en rejouant son drame à l’infini
Le comédien Bastien Semenzato imprime sa patte ludique sur le «Paranoid Paul» de Simon Diard, qu’il monte avec d’anciens élèves de la Manufacture. Décapant!

De la bande d’amis qu’ils formaient à l’adolescence, deux ont disparu: l’un assassiné, l’autre évaporé on ne sait où – en prison pour homicide, peut-être. Les trois filles et deux garçons restants sont toujours sous le choc de leur perte une dizaine d’années plus tard, quand les épingle le dramaturge français Simon Diard dans sa pièce de 2016, «Paranoid Paul (You Stupid Little Dreamer)». Régulièrement, Eva, Luce, Juliette, Balthazar et Victor continuent de se réunir pour une reconstitution rituelle du drame impliquant Gregg et Paul, histoire de l’exorciser en le reproduisant, et de mieux comprendre, en le répétant, le brutal passage à l’acte.
Les vertus du jeu de rôle
Voilà pour le pitch, qui, s’il offre de lointains échos thématiques au «Paranoid Park» du cinéaste Gus Van Sant en 2006, s’ancre catégoriquement dans le théâtre, à la fois sous la plume chorale de son auteur et dans la mise en scène enlevée de Bastien Semenzato. Lui-même comédien et pédagogue, le codirecteur de la compagnie Superprod emmène de jeunes diplômés de la Manufacture, où il enseigne, sur le terrain ambigu du jeu: celui de l’acteur et celui qu’on assimile à l’enfance. En vérité, on se situe ici aux confins du «psychodrame», du «jeu de rôle» tels que le pratiquent certaines psychothérapies. Par la vertu de la catharsis, faire semblant libère.

Les très plastiques Coline Bardin, Davide Brancato, Estelle Bridet, Azelyne Cartigny, Antonin Noël et Georgia Rushton circulent sur le plateau entre trois blocs de béton qui s’avéreront plus organiques qu’il n’y paraît de prime abord. Tous six combinent des qualités de gamins – pouffant, imitant, gesticulant – et de professionnels de la scène éminemment conscients de camper des personnages fictifs. Leur adresse consiste à glisser à tout moment d’une identité à l’autre, d’un niveau de récit à l’autre. De la spontanéité, ils reviennent tôt ou tard à la convention, de l’onomatopée à la partition. Comme si la paix d’une âme, par définition meurtrie, résidait forcément là: dans cet interstice ironique – le jeu dans son sens mécanique cette fois – qui permet tant la dînette que la comédie. À Saint-Gervais, le rire du garnement et celui de l’artiste rebondissent comme une seule et même balle, que l’on se passerait d’une feinte à l’autre, à l’infini.
«Paranoid Paul» jusqu’au 4 mai au Théâtre Saint-Gervais, www.saintgervais.ch
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