La rocambolesque aventure du juge aux multiples vies
GenèveUn ancien magistrat a précipité sa compagne dans le surendettement jusqu’à la perte de sa maison. Récit d'une audience pas comme les autres.

A Genève, le Tribunal de police offre parfois des moments invraisemblables. Lundi, sur le banc des accusés, on a entendu un juge à la retraite surendetté expliquer comment il a entretenu deux «amies intimes» à hauteur de
«Je me suis fait draguer»
Le juge est connu à Genève pour sa gouaille et ses problèmes de dettes. Un héritage de son père, dit-il. «Ma mère était catholique et prude, mais lui a toujours entretenu tout le monde.»
Depuis 1996, il vit dans la maison de sa compagne à Versoix. Mais un jour de 2014, un huissier et des déménageurs sonnent à la porte. La maison a été vendue aux enchères, annoncent-ils à la propriétaire qui tombe des nues. Effondrée, elle est forcée de quitter les lieux. Dans cette histoire qui conserve de nombreuses parts d’ombre, il est établi que l’ancien juge réceptionnait et traitait le courrier de sa concubine. Entre eux, un accord avait été scellé: il pouvait vivre chez elle à condition qu’il se charge de payer la dette hypothécaire. Mais l’homme est mauvais payeur. Durant des années, les factures s’entassent avant que les rappels ne deviennent des menaces d’expulsion.
À quelques reprises, l’ancien juge parvient à retarder l’échéance parce qu’il connaît le système des poursuites, mais également parce qu’il imite la signature de sa compagne sur les documents officiels. Mais quand un serrurier vient remplacer les cylindres de la porte à Versoix, il a beau dire qu’il va arranger la situation, le couple se retrouve à la rue.
Pourquoi cette dette hypothécaire somme toute modeste –
Bon type vs manipulateur
De cette histoire rocambolesque, on retiendra que la banque a racheté cette villa et son terrain à Versoix estimés à 1,5 million par l’Office des poursuites. Personne n’ayant fait d’offre lors de la vente aux enchères, la mise a été raflée pour un montant étrangement dérisoire de
Depuis ce jour, Madame vit dans un studio. Lui est logé par un ami et essuie la colère de sa compagne et de ses fils matérialisée dans une plainte pénale. De retour au Palais de justice — mais pas à la même place — le juge à la retraite intervient quand il n’en a pas le droit, joue avec son stylo jusqu’à agacer le président, ricane au point de se faire menacer d’expulsion. Me Guillaume de Candolle, son avocat, a bien saisi la position délicate de son client, prévenu de gestion déloyale et faux dans les titres. Il le canalise, lui ordonne de se taire. «Sous sa perruque trop usée, c’est un bon type, assure-t-il. Mais il a été négligent.» Sur le fond, la défense plaide l’incurie administrative de la propriétaire.
Si les explications insensées de l’ancien juge ont parfois fait rire, «cette affaire est d’une tristesse infinie», rectifie la première procureure Anne-Laure Huber au moment de requérir une peine de 18 mois avec sursis. «L’argent économisé par le non-paiement de la dette hypothécaire a servi à financer sa triple vie. Avec des conséquences dramatiques.»
Lundi, le tribunal n’a pas pu entendre les mots de la compagne du juge. Désormais octogénaire à la santé fragile, elle était représentée par un Me Robert Assaël en colère, bien décidé à faire condamner «cet homme froid et manipulateur».
Dans ce procès qui a vite cessé d’être drôle, les débats ont oscillé entre chiffres et vie intime. «Vous voyez encore votre compagne?» s’est permis le président Patrick Monney. «Une ou deux fois par semaine», a répondu le prévenu. «Vous l’aimez encore?» lui a demandé plus tôt Me Assaël. «Bien sûr.»
La lecture publique du verdict aura lieu jeudi à 13h30.
Créé: 18.11.2019, 20h30
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