Gagner la guerre en approfondissant la démocratie, c’est le choix de l’Ukraine. Son approche? Accélérer la décentralisation du pouvoir et établir des partenariats de coopération avec les acteurs locaux d’Europe. Parmi l’immensité des défis concernant les populations civiles, les enfants sont la priorité. Cette vision a été clairement articulée par les autorités ukrainiennes à tous les niveaux lors du récent Sommet des villes et des régions du 20 avril à Kyiv.
Confrontés à une brutale agression militaire, certains pays auraient choisi la voie du raidissement du régime. Pas l’Ukraine. La guerre de grande ampleur déclenchée par la Russie en février 2022 n’a pas fait dévier le pays de la trajectoire démocratique dans laquelle il s’est résolument engagé depuis 2014. Au contraire, malgré la guerre, les efforts ont été intensifiés pour rendre la gouvernance plus transparente et plus efficace, pour lutter contre la corruption, pour renforcer l’État de droit.
Au cœur de ces efforts démocratiques se trouve le processus de décentralisation du pouvoir. En Ukraine, la participation de la population à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques publiques n’est pas un vœu pieux, c’est une réalité quotidienne et un projet d’avenir. L’approfondissement actuel de la décentralisation, en pleine guerre, accorde plus de pouvoir aux citoyennes et citoyens, renforce l’appropriation au niveau local des politiques menées et consolide la cohésion sociale.
Ce mouvement de décentralisation est fondamental car il permet à l’Ukraine de surmonter le plus grand défi auquel une nation puisse être confrontée: une brutale agression militaire par un régime cruel, puissant, autoritaire et déterminé à détruire son existence nationale. Alors que la démocratie faiblit partout, l’Ukraine offre ainsi une voie à suivre pour la renouveler et susciter de nouveau l’adhésion des peuples, comme elle avait montré en 2014 avec EuroMaïdan la valeur du projet européen quand le soutien dont il bénéficiait diminuait partout sur le continent.
Dès lors, les enjeux politiques de la guerre apparaissent avec clarté. Deux modèles sont en totale confrontation. D’un côté, le modèle ukrainien démocratique, décentralisé, avec une participation croissante de la population à l’exercice du pouvoir; de l’autre, le modèle russe centralisé, autoritaire, de plus en plus oppressif, soutenu par ses alliés autoritaires, théocratiques et dictatoriaux. D’un côté, un projet de libération et de projection vers l’avenir; de l’autre, une funeste tentative de retour en arrière et de constitution d’une «URSS 2».
Pour faire gagner la liberté et la démocratie, pour rendre le processus de décentralisation plus efficace, les partenariats de coopération entre acteurs locaux d’Ukraine et d’Europe sont fondamentaux.Régions, villes, agglomérations, organisations de la société civile : nous vous appelons à établir des partenariats institutionnels et opérationnels avec vos homologues ukrainiennes. C’est ainsi que nous continuerons à apprendre les uns des autres, à nous rendre meilleurs mutuellement, à profondément arrimer l’Ukraine au reste du continent et à inventer ensemble une identité européenne partagée. L’Ukraine a beaucoup à apprendre de l’expertise de ses amis européens pour se reconstruire en mieux, et elle a beaucoup d’innovations inventées pendant la guerre dans de nombreux domaines à partager.
«Ces enfants ont besoin d’un «prykhystok», d’un abri, d’un refuge, pour «souffler» loin des horreurs de la guerre.»
Parmi tous les défis concernant les populations civiles, les enfants sont la priorité. Ils souffrent terriblement, et ils sont l’avenir du pays. Circuler en Europe, rencontrer des jeunes d’autres cultures, gagner de l’expérience et acquérir des compétences permettra aux jeunes générations de poursuivre l’œuvre de libération et de démocratisation en cours pour les décennies à venir.
L’enlèvement des plus de 16’200 enfants ukrainiens par la Russie est un crime de guerre selon la Cour pénale internationale, et est constitutif d’un crime de génocide selon la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par l’ONU en 1948. Il n’y a pas de plus grande urgence que leur libération immédiate. Le soutien aux millions d’enfants ukrainiens qui souffrent à cause de la guerre doit être au cœur des partenariats de coopération entre acteurs locaux d’Ukraine et d’Europe. Ces enfants ont besoin d’un «prykhystok», d’un abri, d’un refuge, pour «souffler» loin des horreurs de la guerre, être enfants de nouveau, dépasser l’incommensurable trauma qu’ils subissent et continuer à vivre malgré cela, avec cela.
En particulier, nous avons trois demandes précises pour les acteurs locaux d’Europe : accueillez ces enfants pour des séjours de répit pendant quelques semaines ; organisez des «classes transplantées» pendant un mois: les enfants qui ont commencé leur quatrième année scolaire d’affilée en distanciel viennent en Europe avec leurs enseignantes pour apprendre le programme ukrainien en présentiel et réparer ainsi une partie des dégâts en santé mentale, niveau pédagogique et sociabilisation ; enfin, soutenez le développement de centres pour enfants et jeunes en Ukraine, notamment dans les zones les plus affectées par la guerre.
Offrir à la jeunesse un «prykhystok» en Europe soulage également les femmes qui en ont souvent la charge. Ce sont les communautés locales dans leur ensemble qui sont soutenues. Le déploiement de partenariats entre acteurs locaux d’Ukraine et d’Europe, avec des actions pour les enfants en leur cœur, permettra de soutenir le mouvement de décentralisation et d’approfondissement de la démocratie en Ukraine. C’est la victoire de la liberté et de la démocratie contre l’autoritarisme et l’oppression qui est en jeu. Vive la démocratie, vive l’Europe, Slava Ukraini!
Texte cosigné par Oleksii Kuleba, chef adjoint du Bureau du président de l’Ukraine chargé de la politique régionale, Oleksandra Matviichuk, Prix Nobel de la paix, Alona Shrum, présidente du groupe d’amitié parlementaire Ukraine-France, Colleen Thouez, cofondatrice d’Europe Prykhystok, Andrii Vitrenko, vice-ministre de l’Éducation et des Sciences de l’Ukraine, les gouverneurs de 24 régions et les maires de 117 villes et villages.
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L’invité – Gagner la guerre, approfondir la démocratie