Sorties livres, BDFritz Zorn, Grand Corps Malade et ces chevelus de Simon et Florent
Maudire le monde, l’embrasser dans son innocence puis partir en «Ride» pour tout oublier en pédalant avec les potes, c’est le programme très classique du week-end!
Fritz Horn retraduit et toujours en lambeau avec Philippe Lançon

«Lisez l’exploit» conclut Philippe Lançon en préface de la nouvelle traduction de «Mars», de Fritz Zorn. Tout comme Kafka n’aura pas vu le triomphe de ses écrits, ou John Kennedy qui se suicida, faute de ne pas arriver à convaincre un éditeur de publier «La conjuration des imbéciles», l’auteur suisse alémanique s’auréole et brille dans les ténèbres.
La réédition de ce classique, avec une déchirante introduction d’un écrivain aussi cabossé que son idole, apporte son supplément d’ironie à une œuvre née dans les malentendus. En 1976, Zorn, 32 ans, trop bien né dépérissant d’un cancer qui ronge autant ses os que son psychisme, meurt de la rage qui le consume. Comme un Kerouac emporté vers d’autres contrées qui embarquera des générations de vieux adolescents, l’écrivain panse ses écorchures en phrases poétiques désespérées et se détruit sous nos yeux.

L’incipit reste aussi moderne qu’inscrit pour l’éternité dans la littérature: «Je suis jeune, riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul. Je suis issu d’une des toutes meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich, qu’on nomme aussi la Rive dorée. J’ai reçu une éducation bourgeoise et me suis montré sage toute ma vie. Ma famille est passablement dégénérée, aussi suis-je sans doute affligé de lourdes tares héréditaires et détérioré par mon milieu. Bien entendu, j’ai aussi le cancer, ce qui découle logiquement de ce que je viens de dire.»
Épuisé par «un monde si parfaitement harmonieux que le plus fieffé des harmonistes en frémirait d’horreur», le pantin aliéné éructe un sublime testament. Sa colère rugit, intacte, et déchire encore.
«Mars»
Fritz Zorn
Éd. Gallimard, 320 p.
Grand Corps Malade se fait des contes

Devenu grand par la grâce de la paternité – «un tremblement de terre d’émotions» –, Grand Corps Malade se pique d’un livre chanté pour enfants. Flanqués des dessins de Thomas Baas, ses slams amoureux balancent les vérités d’un adulte encore mal dégrossi face au tsunami sentimental qui l’a précipité dans la maturité.

Cette sincérité débusquée entre deux tirades pudiques s’exprime comme lui, clopin-clopant, à mots prudents. Renaud, dit-il, l’a encouragé à la confidence, lui qui lui avait cassé le cœur en chantant «Morgane de toi» pour sa fille. À son tour, la filiation lui inspire des trésors à chérir.
«Quand ils apprennent à lire, on vieillit sans défense. On était des enfants tant qu’on n’en avait pas. Et si les mettre au monde nous fait perdre l’innocence, je veux bien devenir adulte si c’est pour être papa»… Entre fables et chansons, pas sûr que ce «Définitivement Tu Peux déjà» conçu entre deux naissances, soit vraiment à l’usage des bambins.
«Définitivement Tu Peux déjà»
Grand Corps Malade et Thomas Bass
Ed. Les Arènes, 60 p.
«La ride», sortez vos vélos et philosophez!

La vingtaine chevelue, Simon et Florent sont des adeptes de Nicolas Bouvier et de sa phrase «On ne fait pas un voyage, c’est le voyage qui nous fait». Durant cinq jours, à la seule force du mollet, ces deux potes vont effectuer le périple Paris- Bourgogne, cinq cents bornes de pédalage intensif.
«La ride», à prononcer à l’anglaise «raïde», leur donne l’occasion de s’interroger sur le stress et les limites - voire la vacuité - du quotidien. Du vécu à coup sûr. Simon Boileau et Florent Pierre, les auteurs de ce récit au long cours partagent le même amour du vélo.

Le scénario du premier est fluide, sous-tendu par un humour permanent. Mis en valeur par de beaux aplats de couleur, le dessin du second séduit. Lauréate du prix de la BD numérique au Festival d’Angoulême en 2020, cette belle histoire d’amitié valait bien un (excellent) album.
«La ride»
Simon Boileau, Florent Pierre E
Ed. Dargaud, 108 p.
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