Théâtre de CarougeFauchée en plein vol, «La fausse suivante» regagne enfin le zénith
Jean Liermier reprend son Marivaux là où la pandémie l’avait piégé en 2020. Mais avec un nouveau plumage, et sous un nouveau ramage.

On se croirait dans une pièce de Marivaux, tellement la genèse de cette «Fausse suivante» a connu d’intrications et de retournements successifs. Acclamée à peine une semaine durant sur la scène de la Cuisine il y a deux ans, la nouvelle production de Jean Liermier a d’abord subi le premier semi-confinement décrété le 13 mars 2020 par le Conseil fédéral. Plus possible pour ce brillant jeu de séductions vénales de trouver créneau par la suite, en raison tour à tour des fourberies du virus et du réemménagement du Théâtre de Carouge à son adresse historique, à la rue Ancienne. Les mesures sanitaires enfin allégées, il a encore fallu remplacer l’actrice Rébecca Balestra, enceinte, par une Lola Giouse non moins indiquée pour endosser le rôle-titre du chevalier doublement travesti. Fin prêt pour sa seconde vie, le phénix a enfin pu reprendre son envol le mois dernier, mais en commençant par une tournée romande avant de pouvoir pavaner devant son très patient public genevois.
Celui-ci a les meilleures raisons du monde de ne pas rater le rendez-vous. Outre donner aux retardataires une occasion en or de découvrir le bijou architectural qu’est le nouveau Carouge, «La fausse suivante» réunit une distribution éblouissante autour de la reine Brigitte (Rosset). Zénithale en riche aristo que chacun cherche à plumer, celle qui joue pour la troisième fois sous la houlette de Jean Liermier donne la réplique à son Christian Scheidt de complice sur des «Femmes (trop) savantes?» ayant entre-temps devancé les retrouvailles. On applaudit aussi Baptiste Gilliéron pour sa prestation de jeune loup capable des manigances les plus machiavéliques pour rafler quelques louis de plus. Pierre Dubey et Jean-Pierre Gos complètent le tableau en interprétant des valets guère moins roublards que leurs maîtres.

Mais c’est surtout pour les vertiges thématiques prodigués par ce classique remis au goût du jour qu’on réservera sa soirée. Peu importent les trois siècles écoulés, oubliée la révolution advenue entre deux, en 1724 comme de nos jours, l’assoiffé d’amour autant que l’assoiffé d’argent ne lésinent sur aucun simulacre pour parvenir à leurs fins. Or les artifices du théâtre servent l’algèbre de la ruse selon la règle «faux fois faux égale vrai». Et la sincérité triomphe sur l’air transgenre de «Cucurrucucu Paloma».
«La fausse suivante» du 22 février au 6 mars au Théâtre de Carouge, www.theatredecarouge.ch
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