La professeure italo-américaine Mariana Mazzucato n’y va pas de main morte. Selon elle, les grands cabinets de conseil «n’ont aucune expertise dans les domaines qu’ils conseillent» («The McKinseys and the Deloittes have no expertise in the areas that they’re advising in», interview dans le «Financial Times» du 13 février).
La flèche est un tantinet outrancière et l’archère habituée des propos à l’emporte-pièce, elle que l’on retrouve nommée à diverses fonctions d’experte (auprès de l’OMS, de la Commission européenne ou encore du gouvernement écossais par exemple) et à la tête d’institutions promouvant l’action publique dans la sphère économique.
Un pareil pedigree explique pourquoi l’économiste, qui a accompagné les candidatures de personnalités aussi marquées que Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez dans les campagnes présidentielles américaines, se montre à ce point féroce à l’endroit de ces parangons des meilleures pratiques («best practices») que sont les McKinsey et autres Deloitte.
Elle exagère sans doute lorsqu’elle dénonce la façon qu’ils ont de s’accrocher à leurs mandats et assure qu’«ils en savent moins qu’ils ne le prétendent, et coûtent plus cher qu’ils ne rapportent».
S’il est vrai que l’histoire récente est émaillée d’échecs et de déconvenues en lien avec l’appel fait à leurs services, tant dans le secteur privé (Ernst & Young chez Lehman Brothers, Arthur Andersen chez Enron) que dans la sphère étatique (McKinsey à l’Élysée), on doit reconnaître aussi que le recours à des conseils externes est le signe d’une certaine impuissance, ou d’une incapacité à se livrer soi-même à la recherche d’informations pertinentes et d’exemples de bonnes pratiques.
Inexpérience? Manque de temps? Lassitude? Paresse d’esprit? Il y a sans doute un peu de tout cela dans le recours fréquent des capitaines d’industrie et des chefs d’État ou de gouvernement à ces conseils externes. Manière également, peut-être, de se défausser de ses responsabilités…
On a eu parfois l’occasion ici de mesurer l’étendue de leur influence, mais aussi les limites de leur compétence. Tel cabinet a ainsi joué un rôle déterminant dans la disparition prématurée d’un titre glorieux de la presse romande, de même que les appréciations de tel autre auditeur quant à la valeur de revente d’un établissement privé de soins ont conduit à une réduction sévère de la «biodiversité» sanitaire du canton.
Peu importe l’identité des protagonistes, ce qui compte en l’espèce, c’est de souligner combien l’habitude (le réflexe?) de s’appuyer sur des tiers a pris de l’importance à tous les niveaux décisionnels de l’économie privée comme publique.
Mazzucato y voit toutes les raisons de militer en faveur d’une intervention accrue de l’État en matière de recherche et d’innovation. On pourrait plus simplement souhaiter que chacun des mandants, au lieu de s’en défausser, assume pleinement ses responsabilités.
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