Si j’étais Franck Giovannini, cuisinier du plus fameux restaurant trois étoiles de Suisse, l’Hôtel de Ville de Crissier, je me préparerais en me réjouissant à la perte de ma troisième étoile lorsque le prochain Guide Michelin suisse paraîtra. Giovannini et son restaurant mythique, que les gastronomes se rassurent, ne verront cependant pas s’éteindre, peut-être, une étoile du ciel culinaire à cause d’une sauce ratée ou d’une cuisson négligée, pas du tout. La cuisine du miracle que l’on sert à Crissier ne sera absolument pas remise en question, elle demeure et restera exceptionnelle.
Mais le marketing du Guide Michelin a un besoin désormais impérieux de faire un buzz important à chaque parution. Car le Guide ressemble à un vieux pneu usé, menaçant de crever à chaque tour de rotative. Près de 900’000 exemplaires étaient encore imprimés en France au début du XXIe siècle. On en est à moins de 50’000, dont la moitié trouve preneur. Internet n’explique pas tout: le Guide n’a plus la crédibilité de jadis. Et voilà pourquoi dégrader un restaurant mythique est devenu sa pub: le spectacle d’une toque à terre fait beaucoup plus parler que l’ajout de nouvelles étoiles ici ou là. Le merveilleux Guy Savoy, restaurateur installé à Paris, triple étoilé depuis deux décennies, six fois meilleur restaurant du monde, vient d’en faire l’expérience. Il a été dégradé sans explication, sur un coup de fil, il y a quelques jours, alors qu’il était en séjour à la montagne.
Ce qui a marqué, cependant, c’est que Savoy s’en est moqué. Il a raillé placidement Gwendal Poullennec, le trop svelte directeur du Guide, lui rétorquant «qu’à 70 ans, on peut s’attendre à des nouvelles plus terribles». Et depuis, les réservations ont explosé. Les hasards de la vie, l’été dernier, m’ont fait voyager par Saulieu, en Côte d’Or, où un chef fameux, Bernard Loiseau, s’était, il y a pile vingt ans, tiré une balle dans la tête en apprenant qu’il perdait une étoile. Son épouse a depuis courageusement fait survivre et prospérer dans son souvenir ce magnifique établissement.
Il y a quatre ans, c’était à Marc Veyrat, grand chapeau de sorcier au milieu de son restaurant de Manigod, qu’on annonçait la perte de son troisième macaron: il poussa quelques gueulantes et décida pour le coup de rendre aussi les deux autres. Son restaurant ne désemplit pas. Remarquez ainsi l’évolution de la séquence, en vingt ans, qui passe du suicide à la colère et, désormais, à la repartie pressée à froid de Guy Savoy. C’est bel et bien le Guide Michelin qui perd ses étoiles, son lustre, sa raison d’être, avec ce que «Le Figaro» qualifie de «marketing de la terreur».
Donc n’ayez pas trop peur, cher Franck Giovannini. Le Guide fera peut-être bientôt son show helvétique avec vous en parfaite icône et victime. Ce sera le moment de souligner que vous êtes définitivement un immense cuisinier. Dis-moi qui te dégrade, je te dirai ce que vaut ton assiette.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
1000 vies – Étoiles