Cinq jours après, la Suisse est encore fumante. Fumante de rage et de colère contre le Credit Suisse et ses dirigeants successifs, contre les autorités de surveillance, contre le Conseil fédéral aussi, pour avoir déshonoré le pays. Les commentateurs se déchaînent sur un air de fin du monde. Avec ce titre du commentaire de la NZZ qui dit tout et ne présage rien de bon pour la suite: «Un zombie a disparu mais un monstre est né». La quasi unanimité règne. Les banquiers eux-mêmes sont sidérés par le laisser aller d’une culture du risque, des méthodes de cowboy, et surtout, par l’incompétence coupable d’une bande de financiers ineptes qui se sont succédés à un rythme de plus en plus rapide à la tête de l’ex-fleuron suisse, de 167 ans d’âge. «Le poisson pourrit toujours par la tête», lâche en titre de sa contribution au Temps, le banquier privé Thierry Lombard, qui sort de sa retenue face aux responsables «totalement incompétents», réclamant qu’ils soient mis au pilori.
Dans nos sociétés moralement raidies, parfois pour le pire, éthiquement plus exigeantes, souvent pour le meilleur, il semble inconcevable que les Brady Dougan, Urs Rohner, Tidjane Thiam, Thomas Gottstein, Severin Schwan ou Urs Lehmann ne rendent pas des comptes ainsi que leur mirobolants boni de dizaines de millions. Chacun d’eux, avec une incurie stupéfiante, a apporté sa pierre pour faire couler le navire. Aujourd’hui, ils sont muets, planqués sous le tapis, en espérant qu’une nouvelle catastrophe détourne l’attention de celle qu’ils ont engendrée.
On savait! La chute fut plus rapide que prévue, mais les milieux de la finance ne se montrent pas étonnés de l’issue fatale. Tout le monde, pourtant, a regardé faire, y compris les actionnaires. Ceux qui aujourd’hui pleurent leurs pertes, auraient été bien inspirés de s’interroger sur les fondamentaux de la banque. Au lieu de cela, ils ont accordé leur décharge aux dirigeants successifs, primes à l’appui, leur accordant l’immunité pour tous les cadavres que l’on découvrirait dans les placards.
«Chacun d’eux, avec une incurie stupéfiante, a apporté sa pierre pour faire couler le navire.»
Là, nous ne sommes plus dans le registre de ces «inégalités croissantes» de nos sociétés que chacun déplore. Ces capitaines de la finance, grands destructeurs de valeurs devant l’Eternel, s’essuient littéralement les pieds sur la plèbe, employés et clients, après s'être rengorgés de promesses et autres propos ronflants. Puis il y a les complices, ceux qui auraient dû contrôler, la Finma, en particulier. On aurait dû lui faire passer l’un de ces «stress tests» qu’elle affectionne tant pour les banques. Le Conseil fédéral, enfin, pris de panique, a bafoué les règles transactionnelles les plus élémentaires. En fusionnant UBS et CS, il crée un géant absolu sur le marché des grandes banques, sans se soucier une seconde qu’il s’agisse d’un quasi monopole. Mais où est la commission de la concurrence, ordinairement si réactive?
Tout ce petit monde, aux lendemains d’un week-end de transgressions majeures, nous invite donc à garder «confiance», le mot clé, l’alpha et l'oméga du business et de la finance. La confiance? Elle a sombré dans les taux négatifs. S’il en restait, ne serait-ce qu’un soupçon, il n’aurait pas été nécessaire de blinder le deal avec plus de deux cent milliards de deniers publics.
La Suisse est-elle moribonde pour autant, frappée à jamais du sigle des loosers? Pas sûr. Les deux dernières méga catastrophes nationales en date, le grounding de Swissair (2001) et la presque faillite d’UBS (2008), montrent qu’à long terme, ces crises peuvent même avoir du bon. Swissair a été avantageusement remplacée par d’autres compagnies au bénéfice de Genève et de la Suisse romande. Et l’UBS se porte mieux que jamais. Du moins jusqu’à ce qu’elle fut contrainte de racheter Credit Suisse…
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Chronique – Et en plus, il faudrait garder confiance!