En septembre 2018, quelques mois après mon arrivée à Paris, je me souviens avoir acheté le livre d’Eric Zemmour, «Destin français», qui venait de paraître. À travers une série de portraits de personnages fameux, j’y voyais une manière agréable de chevaucher quinze siècles d’histoire de France – la vivacité et les provocations de son auteur n’étant pas faites pour me déplaire…
Quelle déception! Au bout de 80 pages, je n’en pouvais plus. Ce n’était que lamentation boursouflée de la grandeur perdue de la France, lumière de l’Occident chrétien, où fors les rois seul Napoléon avait su réaliser le rôle naturel du pays: dominer le monde. Le mot nation, répété comme un mantra, était invoqué dès le haut Moyen Âge, aussi vide de sens et anachronique qu’une montre au poignet d’un acteur dans un péplum romain.
«Vichy est allée au-delà des demandes nazies en incluant les enfants étrangers de moins de 12 ans.»
Bref, ce n’était pas de l’histoire mais du catéchisme. J’ai laissé le livre s’empoussiérer sur la table de nuit, et pour comprendre la France je suis retourné aux classiques, de Gaulle, Braudel et les autres…
Trois ans plus tard, Eric Zemmour est (presque) candidat à la présidence. Le récit qu’il fait de la France enthousiasme une partie de la population. Chacun ses goûts.
Mais il est intéressant de voir l’usage qu’il fait de l’histoire. Par exemple, cette idée que pendant la Seconde Guerre mondiale, le maréchal Pétain a été le bouclier de la France, permettant de réduire les déportations de juifs. La thèse divise les historiens mais elle est défendable, car le taux de déportation en France a été faible parmi les pays occupés. Zemmour va plus loin, il ajoute que Pétain a protégé les juifs français en sacrifiant les étrangers. Là, c’est plus contestable: d’abord la morale de tuer les uns pour sauver les autres ne va pas de soi, ensuite Vichy est allée au-delà des demandes nazies en incluant les enfants étrangers de moins de 12 ans, enfin parce que malgré tout cela, 25’000 juifs français ont quand même été déportés, un tiers du total.
Une autre polémique concerne l’Affaire Dreyfus avec des propos tenus il y a un an sur la chaîne CNews. «On ne saura jamais», «ce n’est pas évident», avait dit Zemmour au sujet de l’innocence du capitaine, ajoutant qu’il n’avait pas été attaqué «en tant que juif» mais en tant qu’«Allemand». Là, rien n’est juste. C’est purement et simplement du révisionnisme.
Du miel à l’oreille des antisémites
Alors pourquoi laver Pétain des stigmates de la collaboration? Pourquoi jeter le doute sur l’innocence d’Alfred Dreyfus? Il y a une logique là derrière. C’est verser du miel à l’oreille d’une France antisémite et antirépublicaine qui était condamnée à la honte. C’est lui dire qu’elle n’a pas eu forcément tort, qu’elle n’est pas indigne, qu’elle peut relever la tête.
Eric Zemmour a un avantage paradoxal: juif, personne ne peut l’accuser d’être antisémite. Par contre il peut impunément flatter l’antisémitisme. Tout cela, pour gagner des voix.
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La rédaction – Eric Zemmour ou l’art de flatter l’antisémitisme
Le récit national que le (presque) candidat à la présidence fait de la France enchante une partie du pays. Mais quand il tord l’histoire, ce n’est plus du récit. Il manipule.