PlainpalaisEntre tombes et art, la vie au cimetière des Rois
À la Jonction, quartier minéral, le cimetière représente un parc poétique.

Une des portes du cimetière des Rois est ouverte la nuit maintenant, mais je n’ose me risquer dans le trou noir C’est probablement pour permettre à toute heure l’accès à l’exposition «Open End», des œuvres d’art contemporain répandues dans le cimetière sur le double thème de l’immortalité et de l’environnement. Son directeur artistique, le sculpteur Vincent Du Bois, a installé au milieu du cimetière sa stèle de marbre blanc représentant l’émoji MDR (mort de rire), clin d’œil aux technologies énergivores et à l’effondrement des ressources. Plus loin, dans l’herbe, un break Peugeot qui transporte les morts au Maroc surmonté d’une zaouïa d’inspiration japonaise, à côté d’une stèle qui a creusé une profonde trajectoire la tombe vient-elle d’atterrir ou tente-t-elle de s’échapper du cimetière? Questionnements, réflexions, l’exposition attire du public intéressé et donne vie au cimetière, elle est ouverte tous les jours jusqu’au 31 janvier. (lire la «Tribune de Genève» du 16 septembre).
D’ailleurs, le parc avance sur la rue des Rois, en train de devenir une place publique végétalisée. L’espace vert s’agrandit et s’apprête à recevoir 27 nouveaux arbres d’ici au mois d’avril. Déjà, au départ du boulevard Saint-Georges, une partie de la rue s’est embellie et apaisée, laissant de larges terrasses à La Printanière, à L’Échalote et au marchand de motocyclettes. Tout près, la place de la Synagogue perfectionne sa mue et la rue du Diorama attend sa piétonnisation réclamée par une pétition.
Dans ce quartier de la Jonction, très dense et minéral, le cimetière (je dis «mon cimetière», même si je n’y serai jamais enterrée) représente un parc tranquille, poétique. Outre les œuvres d’«Open End», bien des tombes me parlent, car j’ai connu les personnes enterrées, la résistante Noëlla Rouget, récemment honorée par une cérémonie française, avec un général chamarré et des drapeaux, la résistante suisse Aimée Stitelmann, l’humoriste Jo Johnny, l’écrivain Michel Viala, la chorégraphe Noemi Lapzeson, le chef d’orchestre Pierre Colombo, etc.
Le souvenir des balades littéraires, organisées en 2017 et 2022 par les Éditions des Sables et conduites par Guillaume Chenevière, est encore vif dans bien des mémoires. Un arrêt devant une quinzaine de tombes d’écrivains et écrivaines, ponctué d’une note biographique et d’une courte lecture de Chenevière, suivies d’une page d’un ouvrage nouvellement sorti aux Éditions des Sables, lue par l’auteur. Huguette Junod nous faisait pleurer de rire, devant la pierre suggestive de Grisélidis Réal avec son poème érotique au subjonctif imparfait («j’aurais aussi souhaité que vous me déculottassiez) et chaque halte nous apportait de l’émotion. Une de mes amies venue du Brésil avait adoré la lecture d’une page de Borges: «De toutes les villes du monde, de toutes les patries intimes qu’un homme cherche à mériter au cours de ses voyages, Genève me semble la plus propice au bonheur.»
Comme cela est bien dit! Certes on n’y vit pas forcément dans le bonheur. Mais tout est propice à vous offrir du bonheur: le lac, la rade, les montagnes environnantes, l’Arve et le Rhône et leur jonction, les théâtres, les orchestres, et le cimetière des Rois, toujours porteur de rêves.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.