Sous l’effet d’une pression économique encouragée par l’étroitesse de vue de la classe politique, Genève étouffe sous les coulées de béton qui transforment ses quartiers de villas et leurs jardins en sarcophages. Incapables de prendre en compte l’urgence de conserver les zones de verdure urbaines malgré les mises en garde des scientifiques du GIEC, de l’ONU et de la population, les décideurs, s’appuyant sur un zonage des années 1950, éradiquent méthodiquement ce qui a fait hier la renommée de Genève et qui aurait fait demain sa planche de salut. Des armées de fantassins se battent pied à pied contre les blindés de l’Etat afin de conserver un échantillon ici ou là. Les Feuillantines ont été arrachée à la destruction ; d’autres n’ont pas eu la même chance comme les Allières, la villa Scriabine, Roilebeau, la Chevillarde …
La Gradeline paraissait pourtant à l’abri du trend d’extermination massive. Le domaine originel de 2 hectares avait déjà payé son tribut à la densification, puisque le Tennis Club de Cologny et un alignement de villas contiguës avaient pris place sur sa parcelle avec un possible épuisement des droits à bâtir. La demeure, ayant appartenu à l’importante famille des ferronniers Wanner, avait fait l’objet en 2016 d’un rapport historique du Service des Monuments et de Sites qui concluait que pour sauvegarder cet « objet singulier […] une mesure de protection se justifie ». Une composition agrégative, où se marient le bois et la pierre, scelle la personnalité pittoresque de cette maison-chalet remontant aux années 1860. L’intérieur témoigne de l’aisance matérielle de ses propriétaires successifs qui ont apporté leur touche pour l’embellir.
Or, quasi-clandestinement, la situation se retourne peu de temps après avec le probable soutien en backoffice de la Direction des autorisations de construire! On parle de remplacer cette demeure historique par un petit immeuble de neuf appartements de luxe, les attiques prévus à 4 M° de frs, exactement le genre de logements indispensables à Genève et pour lesquels il convient de sacrifier notre patrimoine! La chose aurait pu passer inaperçue s’il n’y avait eu ce faux pas d’exhiber la delenda lors des Journées du Patrimoine 2021. Les nombreux visiteurs, charmés par ce bâtiment, ne peuvent alors que constater l’attitude schizophrène d’une Direction du Patrimoine en pleine déroute !
Résultant d’habiles transformations au fil du temps et des propriétaires, la Gradeline recèle de remarquables ferronneries Art Déco ajoutées par Edmond Wanner, le promoteur et l’inventeur du système constructif de « Clarté », immeuble maintenant classé au Patrimoine mondial de l’Unesco en tant qu’ouvrage de Le Corbusier. Pour rendre acceptable la démolition de la demeure, on négocie un deal digne du XIXe siècle ! Offrir au MAH, déjà encombré des chambres du château de Zizers et du salon du château de Cartigny, les dépouilles ferronnées de la Gradeline !
L’intérêt architectural et artistique est difficile à qualifier et à évaluer de façon absolue. Mais il est certain que ce qui, pour des raisons idéologiques et économiques, ne trouve plus grâce aux yeux aveuglés de nos élites, séduit encore tout un public, qui ne comprend pas qu’on puisse systématiquement préférer au titre de patrimoine les grands ensembles du XXe siècle aux beautés de la villégiature ancienne. Les Genevois sont abattus de ce qu’on a fait de leur ville et de leur canton. Les fantassins sont essoufflés, mais assurés de leur bon sens et de leur bon droit, au-delà des petits arrangements entre amis et des grandes visions dépassées. Une pétition circule pour sauver la Gradeline de la destruction: https://chng.it/5NMcdvzk56. Merci de la soutenir.
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L’invitée – Encore une demeure historique menacée!