Nous y sommes: à Kiev, le mercure affiche des valeurs négatives. Le redoutable hiver ukrainien arrive. Tandis que les tranchées du Donbass se tapisseront de neige, alors que des millions de civils privés d’électricité lutteront contre le vent glacé venu des steppes, une douce musique tentera de réchauffer les cœurs. L’heure du cessez-le-feu est venue. Négocions un compromis avec le Kremlin pour qu’au printemps fleurisse la paix.
On débattra, sur les plateaux de télévision, des termes d’une sortie de crise. On jugera décidément maximalistes les conditions imposées par le président ukrainien: retour aux frontières de 2014, paiement de réparations et poursuite des criminels de guerre. On se demandera enfin, frissonnant courageusement d’inquiétude depuis des bureaux chauffés à 19 °C (un degré de moins que l’année dernière, tout de même), si la Crimée vaut vraiment le risque d’une apocalypse nucléaire.
«Contrairement à leur ennemi, qui n’a d’autre choix que de vider les prisons pour garnir ses troupes, les forces ukrainiennes sont submergées de volontaires.»
Bercé comme tout le monde par la prudente comptine pacifiste au moment d’ouvrir mes cadeaux de Noël, je tenterai pour ma part de ne pas oublier un visage. Celui de Vlad, 19 ans, croisé cet été lors d’un reportage à Kramatorsk, l’une des villes de l’Est ukrainien ravagée par l’artillerie russe. Employé dans une entreprise de pompes funèbres très loin du front, Vlad venait de passer la bague au doigt de son amour de lycée. Prétextant un voyage d’affaires, il avait ensuite mis le cap vers le Donbass pour rejoindre l’armée.
La suite est révélatrice: arrivé devant un baraquement militaire de Kramatorsk, le jeune téméraire se fait gentiment renvoyer à ses pénates. Contrairement à leur ennemi, qui n’a d’autre choix que de vider les prisons pour garnir ses troupes, les forces ukrainiennes sont submergées de volontaires. La plupart, comme Vlad, ont un cœur de lion mais manquent d’expérience militaire. Ils donneraient volontiers leur vie pour défendre leurs familles, mais ne savent pas manier un fusil. À ce stade de la guerre, ils sont plus utiles à l’arrière.
Quel cessez-le-feu?
J’ai croisé en Ukraine bien d’autres Vlad. Les histoires du genre sont innombrables. C’est à ce moment précis que j’ai compris que l’Ukraine allait gagner la guerre. Chacune de ses fibres tend vers la victoire finale. Le pays est en ruine, son économie mettra des décennies à se relever et les cimetières croulent sous les cercueils, mais très rares sont les Ukrainiens réclamant un cessez-le-feu. Bien au contraire, ils rongent souvent leur frein en attendant l’appel de l’armée.
Au moment de passer à la table du réveillon, alors que l’Ukraine manquera d’être découpée telle une gigantesque bûche glacée, je dirai ceci: personne, à Moscou, Washington ou Genève, n’apaisera la fougue de Vlad. Outragée, brisée et martyrisée, l’Ukraine a repris la main sur le champ de bataille et mène désormais une course aussi juste que folle vers la liberté. Si cessez-le-feu il y a, je ne donnerai pas cher de la peau de ce dernier. Pas plus que de celle de la dinde dans mon assiette.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
La rédaction – En Ukraine, l’illusoire paix hivernale
Les appels aux négociations de paix devraient se multiplier à mesure que gèlera le front ukrainien. Attention aux mirages, même en hiver.