«La réglementation, note l’économiste français Éric Chaney, vise à prévenir la dernière crise, pas la prochaine». Comme il a raison. Crise après crise, les dispositifs réglementaires se renforcent, s’élargissent, sans jamais réussir à domestiquer le facteur dont tout dépend: la confiance. Aussi, quoi que nous assurent ceux et celles qui ont présidé au mariage forcé entre UBS et Credit Suisse, le secteur bancaire helvétique ne ressort pas de l’épisode plus solide qu’il ne l’était auparavant. Le risque global n’est pas mieux circonscrit, il est simplement réparti autrement.
La mégabanque va poser toute une série de problèmes, moins par sa taille – au demeurant moindre, à l’échelle internationale, que celle d’autres mastodontes auxquels on la compare volontiers, BNP Paribas, Crédit Agricole ou Deutsche Bank par exemple – que par la situation nouvelle que la fusion crée sur le marché suisse sous l’angle de la concurrence. En somme, ce n’est pas que notre désormais unique grande banque soit trop grosse, c’est que la Suisse est trop petite pour espérer réussir à l’apprivoiser ; ou, plus largement considérée et en vérité, l’hypertrophie de son secteur bancaire en comparaison de sa taille (10% du PIB) l’a progressivement conduite à jouer dans la cour des grands sans en avoir les compétences ni maîtriser les enjeux.
Pour sortir de cette enfilade, il n’y aura pas trente-six solutions. Il faudra d’une manière ou d’une autre segmenter l’animal («dégraisser le mammouth», avait dit un jour le ministre français Claude Allègre à propos des effectifs de l’Éducation nationale). Mais aucune de ces manières n’est satisfaisante. Séparer du reste la tranche américaine, comme le verrait volontiers UBS, ajouterait à une instabilité financière mondiale que les banques centrales, la nôtre comprise, s’efforcent précisément de maîtriser. Détacher le joyau de la couronne – la banque helvétique du groupe CS – comme l’appellent de leurs vœux plusieurs ténors du monde politique, ne conviendrait pas du tout à la même UBS qui, se retrouvant avec la part la moins avenante du gâteau, serait soumise du coup à la fois à une concurrence ressurgie sur le plan domestique et à l’obligation de continuer à porter un fardeau encombrant sur le plan international.
«La mégabanque va poser toute une série de problèmes.»
Il risque donc d’y avoir, des années durant, une succession de petits accommodements avec les régulateurs, les actionnaires stratégiques d’ici et d’ailleurs, les avocats des parties lésées et les partenaires internationaux. Pas sûr que la rentabilité de notre mono grande banque atteigne ce à quoi aspiraient les dirigeants d’UBS au moment de négocier la fusion. Pas sûr, non plus, que les instances helvétiques (BNS, Comco, Finma) relâchent un seul instant leur surveillance.
Il se pourrait, dans ces conditions, que remonte à la surface l’idée de «narrow banking»* et de réforme du système bancaire, tel le Chicago plan imaginé au sortir de la Grande Dépression des années 30. Et pourquoi pas, que l’on en vienne, à la prochaine crise financière, à la convocation d’une conférence internationale, sorte de Bretton Woods 2.0, qui jetterait les bases d’un nouvel ordre bancaire séparant clairement les fonctions de banque de dépôt et de banque d’investissement. Ce qui paraissait complètement utopique jusque là deviendrait d’un seul coup envisageable. Rêvons un peu.
* Modèle théorique, aussi appelé full-reserve banking, dans lequel les banques ne prêtent pas davantage d’argent qu’elles n’en ont à disposition.
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Chronique économique – Éléphant dans un magasin de porcelaine