Boulevard du Poche«Edmée», de la farce paysanne à la parodie gore
Avec Antoinette Rychner à la plume et le duo Florence Minder-Julien Jaillot à la baguette, le vaudeville des années 1950 renaît sous la forme d’un bain de sang cathartique.

Pour ses 75 ans, Le Poche avait promis de revisiter ses classiques. Il n’allait pas, dès lors, passer à côté de ce tube des années 1950 que fut «Edmée», une comédie de boulevard donnée plus de cent fois en Vieille-Ville avant de tourner jusqu’à Londres – une première. À l’auteur originel Pierre-Aristide Bréal (un régulier de l’émission «Au Théâtre ce soir») se substitue aujourd’hui la dramaturge du terroir romand Antoinette Rychner («Arlette», «Pièces de guerre en Suisse», ou l’excellent roman «Le Prix»). De son côté, le tandem déjà fort de deux créations chez Mathieu Bertholet, Julien Jaillot et Florence Minder, supplante William Favre à la mise en scène.
Déjà insolente à l’époque, l’intrigue a été dûment gonflée à l’hélium contemporain. Pas besoin d’appuyer pour qu’en giclent l’humour et l’excès, mais aussi le sang et l’inconvenance. Au départ, une gironde et vénale campagnarde ne recule devant aucun méfait pour empocher l’héritage imminent de sa belle-tante. À l’arrivée, une version alpine d’Uma Thurman dans «Kill Bill» castagne indifféremment son péquenaud de mari, son Ken de saisonnier polonais ou son gigolo de gendarme à rouflaquettes pour rafler le pactole qui n’en finit pas de se faire attendre. Même chenue et grande-tatie à son tour, elle n’en a toujours pas vu la couleur…

Jusqu’à la caricature, le texte fera étalage de néoxénophobie et de sexisme inversé, sur fond de dure réalité économique dans le milieu agricole. Les allusions fuseront, ici au coronavirus, à la banque Raiffeisen, à la LPP ou à un essai de Mona Chollet, là à l’insémination bovine, au faux bio ou à la congélation d’ovocyte en vue d’une parentalité lesbienne. Dans un contexte politique un rien tendu entre nos communautés citadines et rurales, la seconde en prend étonnamment pour son grade, ce qui suppose un certain courage, calqué sur celui de la bombe Edmée: «Quelle femme!» n’entend-on pas ponctuer les dialogues à la manière d’une rengaine rescapée de 1951.

Au final, comme les deux précédents vaudevilles de la saison, «Edmée» offre au public un divertissement postmoderne d’après-Covid. En passant, le spectacle célèbre comme de juste les faux-semblants du théâtre, grâce auxquels les bastonnés se relèvent sans égratignure et les spectateurs se purgent à l’hémoglobine. Avant tout, il met en exergue le savoir-faire de la troupe maison en 2023, illustrée ici par la volcanique Jeanne De Mont, le convulsif Aurélien Gschwind, le louvoyant Léonard Bertholet et l’épatante Valeria Bertolotto, merveilleuse d’ambiguïté et de drôlerie en époux éclopé.
«Edmée», jusqu’au 5 février au Poche, www.poche---gve.ch
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