«Tu écris sur le climat? Bonne chance…» Cette réflexion d’un ami, alors que je lui parlais de mon travail, ne m’a, à vrai dire, guère surprise. Écrire aujourd’hui sur le dérèglement climatique nous confronte, nous journalistes, aux critiques toujours plus virulentes d’une société pleine de contradictions.
Une étude de l’Université de Lausanne a d’ailleurs récemment constaté que la couverture médiatique sur ce sujet provoque davantage de déni et d’évitement de la part des lecteurs qu’un comportement pro-environnemental. En gros, fichez-nous la paix, vous les médias, avec vos récits catastrophistes de fin des temps.
«Je suis moi-même pétrie de contradictions: j’achète bio et prends l’avion.»
Cette réaction assez naturelle de se protéger des nouvelles anxiogènes n’en est qu’une parmi tant d’autres que j’ai relevées au fil de mes articles. Depuis des années j’interroge des scientifiques sur le climat. Certains m’abreuvent de chiffres, carrés et distants dans leurs recherches, d’autres au contraire se sont engagés face à l’urgence. J’écoute des écoanxieux en larmes, des couples qui ne veulent pas faire d’enfants, des militants extrémistes prêts à en découdre, des citoyens exaspérés par ces mêmes militants qui se collent aux autoroutes.
Je croise des politiciens convaincus d’en faire assez. Des entrepreneurs qui défendent bec et ongles notre salut dans les technologies d’avenir. J’ai parlé à Greta Thunberg et à des anonymes. Je raconte les histoires des agriculteurs qui mènent de petites révolutions silencieuses ou celles des avocats qui font plier des géants pétroliers. Tous me touchent ou m’exaspèrent, me laissent rarement indifférente. J’arpente des villes visionnaires en termes de protection de l’environnement et parcours des endroits du monde où il ne fera vraiment pas bon vivre dans vingt ans.
Comme tout le monde
Dans le consensus actuel sur le réchauffement climatique, certains attendent du journaliste une prise de position claire. J’ai lu les rapports accablants du GIEC. J’ai aussi lu le best-seller de Steven Koonin, ancien conseiller scientifique de Barack Obama, qui, pour avoir soulevé la part d’incertitude dans ces fameux rapports, est taxé de climatosceptique. Et comme tout le monde, je doute parfois face à ce déferlement d’informations. Mais surtout, je suis moi-même pétrie de contradictions: j’achète bio et prends l’avion, je m’exaspère de la lenteur de nos décisions politiques mais je tarde à remplacer mon chauffage à mazout. Je m’apitoie du haut de mon télésiège sur la fonte des glaciers. Je recycle. Je m’énerve contre la fast fashion. Je mange de la viande.
Au front sur la question climatique, nous journalistes sommes tout autant critiqués pour notre catastrophisme que pour notre manque d’engagement. Parfois nous crions avec la meute, parfois nous sommes juste désabusés et cyniques. Nos lecteurs qui nous vilipendent oublient que nous sommes finalement comme eux, spectateurs impuissants face à une nature qui n’a pas besoin de nous.
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La rédaction – Écrire sur le climat? Bonne chance
Les journalistes qui relatent le dérèglement climatique sont tour à tour critiqués pour leur catastrophisme ou leur manque d’engagement.