Dans la relation compliquée, confuse et confrontationnelle entre leurs pays, Vladimir Poutine et Joe Biden ont chacun des objectifs clairs pour le sommet de Genève du 16juin.
Le premier veut réaffirmer, à l’intérieur comme à l’extérieur, qu’il est et reste l’homme fort du continent européen et le principal interlocuteur des États-Unis pour l’ensemble de la région, Ukraine et Crimée incluses. En sous-titre: ayez davantage de considération pour la Russie. Ne vous mêlez surtout pas de nos affaires, au risque d’une intensification des cyberattaques que nous n’avons pas ordonnées.
Face à lui, Joe Biden joue la carte de l’effacement de l’ère Trump, du rassemblement des forces occidentales sous la bannière américaine et de la démocratie restaurée. En prime, pour les Américains comme pour le reste du monde, il entend bien démontrer que si le «tueur», c’est Poutine, lui, Joe Biden, n’est pas un enfant de chœur pour autant.
De la stabilité et de la prévisibilité en point de mire, mais aucune percée décisive n’est attendue, affirment les analystes à l’unisson.
Pourtant, il y aurait une occasion unique pour conclure à Genève un marché spectaculaire et dont ils pourraient tirer grand profit. Un échange de prisonniers à haut profil. Côté russe, on pense bien sûr à l’opposant Navalny. Mais le poisson est très (trop) gros. Poutine se cabre déjà. Autre candidat, le journaliste et opposant biélorusse Roman Protassevitch, enfermé dans les geôles d’Alexandre Loukachenko après que son avion a été détourné sur Minsk.
La monnaie d’échange, côté américain? Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, enfermé à Londres et poursuivi par les États-Unis pour violation de la loi sur l’espionnage, ce qui peut lui valoir jusqu’à 175 ans de prison.
Ce marché s’inscrirait parfaitement dans les objectifs respectifs des deux grands leaders. Tous deux ont besoin de marquer des points en matière de démocratie et de droits humains. L’énormité de l’affaire Protassevitch, qui a provoqué l’indignation générale, permettrait à Vladimir Poutine de prouver qu’il est sensible aux droits fondamentaux, notamment à la liberté de la presse, et qu’il y a des limites que même ses meilleurs alliés ne doivent pas franchir. Une façon également de souligner, en tordant le bras de Loukachenko en coulisses, qu’il est bien l’incontesté puissant de la région. Tout cela sans dégâts collatéraux pour Moscou.
De l’autre côté du pont, menottes aux poings, très affaibli, Julian Assange. L’affaire devient de plus en plus embarrassante pour les États-Unis. Le fondateur de WikiLeaks, qui a, entre autres, révélé des exactions de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan, est emprisonné à Londres, où il attend une nouvelle décision sur son extradition vers les États-Unis. Le déni de droit est patent et le mouvement citoyen en faveur d’Assange prend des allures de tsunami. Le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture évoque «une affaire Dreyfuss du XXIesiècle».
Une condamnation d’Assange serait dévastatrice pour la liberté de la presse. Tout média pourrait dès lors être poursuivi pour publication de documents classifiés. Une évidence qui, entre autres, avait dissuadé Barack Obama d’engager une action en justice. Donald Trump, en guerre avec la presse, n’a pas hésité. En abandonnant les poursuites contre Assange, les États-Unis de Joe Biden prouveraient par l’acte leur attachement intangible à la liberté de la presse, aux droits humains et à la démocratie. Ce mot, démocratie, le président l’a utilisé 17fois dans sa tribune libre publiée dimanche dans le «Washington Post».
Les coûts de ce marché? Négligeables. En revanche, les gains pour Poutine, Biden et l’État hôte seraient immenses. Pour Protassevitch, Assange et la démocratie, également…
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Chronique – Échange de prisonniers au Sommet de Genève