«Reconnaître le faux». Dans un essai écrit en 2011 et publié en français aux éditions Grasset (2022), le sémiologue italien Umberto Eco souligne l’importance et le rôle du mensonge dans les jeux de pouvoir. Cet essai permet de mesurer le culot qui caractérise Vladimir Poutine lorsqu’il déclare, mardi 12 avril, que les crimes commis en Ukraine à Boutcha étaient un «fake». Une désinformation des Occidentaux. Cet élément de langage, qui utilise délibérément un terme anglais devenu universel pour désigner la guerre de l’information sur les réseaux sociaux, n’est pas anodin.
Le décryptage de cette guerre d’influence très largement répandue sur les réseaux sociaux met en évidence l’importance du narratif, voire du storytelling, en temps de guerre. Depuis le 24 février, date de l’invasion russe en Ukraine, les médias tant privés que publics issus d’États démocratiques ont illustré l’importance d’aller enquêter sur le terrain, de recueillir des témoignages et des images, autant de preuves que Poutine ment, avec le cynisme glaçant de l’ex-agent soviétique devenu dictateur au fil de vingt années de pouvoir.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, dans un ouvrage encore aujourd’hui de référence, «Le viol des foules par la propagande politique» (Gallimard, 1952), le psychosociologue russe Serge Tchakhotine écrivait à propos de Hitler (p. 341): «Il est extrêmement curieux et inquiétant de constater que la tactique de violence psychique, qui a si bien réussi à Hitler et aux autres dictateurs à l’intérieur de leur pays, et qui fut le prélude de la violence réelle, qu’ils y exercèrent ensuite, que cette même tactique soit depuis appliquée sur le plan des relations internationales, et donne les mêmes fruits à ceux qui s’en servent.» L’enjeu de la propagande via les réseaux sociaux nécessite des contre-feux. Mais, comme l’explique la chercheuse en désinformation de l’Université de Stanford Renée DiResta, dans une interview diffusée par le journal d’Arte (12 avril): «Le mot propagande fait souvent penser à une collusion entre médias et État qui vont fabriquer un récit et l’imposer au public, mais aujourd’hui cela ne se passe plus comme ça. C’est une lame de fond qui se propage de bas en haut.» Les réseaux sociaux sont de ce fait non seulement le terreau fertile de la désinformation mais aussi le nerf de la guerre de la propagande en ligne. Et ce terreau est chiffré.
Aux États-Unis en 2021, selon l’institut de recherche PEW, 70% de la population adulte américaine s’informe principalement via les feeds (flux de données) du réseau Twitter. Ils étaient 59% en 2015. En Suisse, selon le rapport annuel Digital News Report 2021 de l’Institut Reuters, 82% des sources d’information provenaient de plateformes en ligne et 47% exclusivement via les réseaux sociaux, soit moins que la télévision (59%) mais plus que la presse écrite imprimée (37%).
Au bénéfice d’une réelle diversité médiatique, la Suisse se caractérise aussi, toujours selon l’étude de Reuters, par la confiance dans les médias dits «historiques» (presse, radio et télévision) comme l’a d’ailleurs souligné l’augmentation des audiences de ces médias, perçus comme crédibles, lors de la pandémie de coronavirus. En 2021, le média qui a disposé de la confiance la plus élevée, tant en Suisse romande qu’en Suisse alémanique, est RTS News et SRF News, soit les chaînes de la SRG SSR, suivies dans les deux régions linguistiques par la presse régionale et locale.
Ces indicateurs de confiance dans les médias, dont les journalistes sont des professionnels au service de tous les publics et, surtout, au service des faits et non d’une quelconque propagande, devraient nous interpeller. Après l’échec d’un soutien direct à la presse écrite imprimée, le 12 février dernier, le possible échec de la taxe dite «Lex Netflix» destinée à soutenir le cinéma suisse, le 15 mai prochain, le lancement le 1er mars dernier d’une initiative destinée à abaisser la redevance de 335 à 200 francs, combien d’assauts ces médias pourtant appréciés des Suisses devront-ils encore subir avant que l’on ne s’interroge: pourquoi affaiblir le service public alors qu’il est plus que jamais nécessaire?
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Planète Réseaux – Du rôle crucial du service public