Désinformer est un choix résolu destiné à tromper le public. Un agissement reposant sur des faits mensongers. Ou sur l’utilisation abusive de certaines affirmations factuelles et de moyens déloyaux, outrepassant la saine rhétorique. La mésinformation a un sens plus général. Ce n’est qu’une information erronée, diffusée sans volonté manifeste de nuire, même si la nuisance se réalise.
Bon, mais qui parle de «mésinformation»? Le terme n’est pratiquement pas employé, alors que «désinformation» se retrouve galvaudé dans les bourdonnements du débat public. Un peu comme si tout propos plus ou moins étayé, mais contrariant, pouvait être qualifié de désinformation. Pour le dire plus simplement, la désinformation est en quelque sorte devenue la propagande avec laquelle on n’est pas d’accord. Un champ très étendu.
Dans la sphère anglophone, «misinformation» est au contraire beaucoup plus fréquent que «disinformation». Les propos complotistes, au hasard, y relèvent plutôt de la simple mésinformation. Leurs auteurs y croient sincèrement. L’intention n’est pas d’embrouiller, mais de convaincre par des moyens qu’ils jugent convenables.
Cette mise au point n’est pas inutile pour bien comprendre le Digital Services Act (DSA), que l’Union européenne vient de finaliser et sur lequel la Suisse va plus ou moins s’aligner. Une loi hâtivement qualifiée d’«anti-GAFAM». Elle va faire de l’Europe «le leader mondial de la régulation numérique» (Chine mise à part), selon l’objectif géostratégique explicité à Bruxelles depuis longtemps (à défaut d’avoir brillé dans la révolution technologique précédente).
Le DSA va contraindre les GAFAM et d’autres opérateurs du web à s’autocensurer. Ce n’est pas sans risque pour la diversité des opinions. Il ne s’agit pourtant pas d’un tournant à l’échelle planétaire. Le principe général veut simplement rendre aussi illégal sur le web ce qui l’est en dehors: la pédophilie par exemple (qui a déjà pratiquement disparu d’internet), les appels à la haine ou au meurtre (déjà poursuivis), la diffamation (un classique des procédures judiciaires), les annonces frauduleuses (une évidence), ou encore… la «désinformation».
On peut comprendre le malaise aussitôt suscité dans la francophonie par rapport à cette volonté d’éradiquer la désinformation sur internet. Que va-t-il rester de l’information, à part le paysage médiatique plan-plan du siècle dernier (et encore)? C’est donc bien au sens anglophone, beaucoup plus restrictif, qu’il faut interpréter «désinformation» dans le contexte de ce DSA: des fake news délibérément organisées dans le but de corrompre l’opinion publique et de déstabiliser les institutions à un moment crucial. On reconnaît tout de suite le destinataire principal: la Russie, leader historique de la spécialité, d’où vient d’ailleurs le terme «désinformation» lui-même (à l’époque stalinienne). Comme si la loi anti-GAFAM devait en premier lieu protéger de la Russie et de ses relais dans nos respectables démocraties.
En réalité, des dispositions pénales existent déjà, en Suisse et ailleurs dans le monde, permettant de neutraliser des tentatives de désinformation selon le critère de la dangerosité avérée. Quelques bonnes années seront toutefois nécessaires pour que la jurisprudence se stabilise autour du DSA et de ses applications nationales. Les défenseurs de la liberté d’expression veilleront. Il n’est donc pas certain, à ce stade, que le nouveau régime bureaucratique durcisse beaucoup la police de la pensée.
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Le Cercle du «Matin Dimanche» – Désinformation et police de la pensée