L’annonce de la démission du directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, vendredi 29 avril, ne représente que la première fissure dans l’édifice opaque qui s’est constitué depuis la création de l’Agence européenne des gardes-frontières. Suffira-t-elle? Semaine après semaine, les révélations se succèdent. Deux autres membres de la direction étaient impliqués dans la falsification de preuves de refoulements illégaux de personnes exilées. Des refoulements qui auraient conduit à la noyade de personnes migrantes, documentée par une équipe de journalistes. Il faut rappeler que la Suisse a deux représentant·e·s au sein du conseil d’administration. Que savaient-ils des faits reprochés à Leggeri? Qu’ont-ils communiqué au Conseil fédéral?
Alors que la Suisse est en pleine campagne de votation sur un arrêté fédéral visant à octroyer davantage de moyens financiers et de personnel à cette agence, les conseiller·e·s fédéraux concerné·e·s Karin Keller-Sutter et Ueli Maurer devraient répondre à cette question avant le jour du scrutin. C’est ce que demande depuis fin mars 2022 une lettre ouverte publiée par Frontex-leaks.ch et relayée sur le site asile.ch. Une exigence de transparence légitime dans le cadre du débat démocratique. Au lieu de cela, c’est une crispation, voire une censure que cherchent à imposer les autorités fédérales aux journalistes qui tentent de faire leur travail d’information. La RTS s’en est fait l’écho le 28 avril, évoquant même la possible intervention de Frontex dans cette interférence, alors que «Le Temps» dénonçait quatre jours plus tôt une censure de la part de l’Administration fédérale des douanes. Son vice-directeur, Marco Benz, est justement membre du conseil d’administration de Frontex.
«La question de savoir si les pushbacks font partie de l’ADN de Frontex reste entière.»
L’information est un outil essentiel de notre démocratie. Ce n’est que grâce au travail acharné de journalistes et d’ONG que les actes de Frontex commencent à être révélés. L’agence a tenté par tous les moyens – y compris par des poursuites financières – d’empêcher leurs investigations. Celles-ci ont contribué au lancement de certaines enquêtes par des organes européens, notamment celle de l’organe de lutte antifraude de l’Union européenne, dont le rapport a conduit à la démission de Leggeri. Pas plus tard que le 28 avril, l’enquête conjuguée du «Monde», SRF, «Republik», en collaboration avec Lighthouse Report, a montré combien les refoulements illégaux pratiqués par l’agence sont «normalisés». La question de savoir si les pushbacks font partie de l’ADN de Frontex reste entière.
La justice internationale est également en train d’être activée par des ONG. Une autre façon de demander des comptes sur les pratiques de l’agence et des États européens à leurs frontières extérieures. La dernière en date a été déposée par Sea-Watch, suite au refoulement d’un bateau vers la Libye, pays où, selon l’ONU, «ils seront placés dans des centres de détention inhumains et seront exposés à la famine, aux abus sexuels et à la torture.» Est-ce cela que nous voulons? Refuser aux personnes fuyant les guerres et la persécution le droit de déposer une demande de protection internationale? Veut-on tripler les moyens financiers d’une agence qui renvoie vers la mort et la torture plusieurs milliers de personnes, ceci sans demander de comptes? Refuser le 15 mai l’arrêté fédéral proposé par le Conseil fédéral et le Parlement ne met de loin pas en danger notre démocratie. Celle-ci a besoin de contre-pouvoirs forts.
Un refus ne mettra pas davantage en danger notre participation à Schengen. Cet argument est de la poudre aux yeux. Un rejet permettra de relégiférer, à la lumière des éléments qui se font jour aujourd’hui. D’ajouter des mesures d’accompagnement humanitaires qui avaient initialement été proposées lors des travaux parlementaires, pour assurer la sécurité des personnes qui sont elles-mêmes en danger et doivent être protégées.
Le 15 mai, nous avons l’occasion de refuser d’adouber des pratiques antidémocratiques et illégales qui foulent au pied les valeurs que l’Europe essaie aujourd’hui de défendre face à la Russie de Poutine. Et de renforcer les voix européennes qui demandent un monitoring véritablement indépendant des pratiques de Frontex.
*«Vivre Ensemble» est le service d’information et de documentation sur l’asile et de la plateforme asile.ch
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L’invitée – Des refoulements illégaux sont «normalisés»