Spectacle musicalDes Muskatnuss à la sauce aigre-douce
«La Fin des haricots!» marque à la fois la clôture de saison du Crève-Cœur et une transition vers plus de nostalgie de la part du trio formé par Sophie Solo, Nadège Allaki et Isabel Maret.

Leur «Joli foutoir» avait semé un excitant parfum de soufre sur le sillon de sa tournée entre 2015 et 2019. La noix de muscade qui leur tient lieu d’emblème en traduction germanique, on l’associait alors à l’irrévérence dont elles épiçaient leur tour de chant. Une pandémie, des guerres, des déceptions et un lustre plus tard, le trio féminin saupoudre sur ses refrains l’assaisonnement doux-amer de la mélancolie.

Pour l’entrain et l’énergie, «La fin des haricots!» n’a rien perdu de la tonicité d’antan. Nadège Allaki, Isabel Maret et Sophie Solo se répandent sur le plateau du Crève-cœur telles des gouttelettes de vif-argent. En solo, en duo ou en trio, elles donnent de la voix (amplifiée) avec un engagement inentamé. Multi-instrumentistes, les commères passent allègrement du piano à la gratte, du tuba à la batterie sur commode ou de l’accordéon à la pompe à vélo, quand elles ne font pas sortir de leur chapeau un kazoo ou un «sonnettophone». Quant au répertoire, leur flair conduit les artistes à puiser leurs chansons aux mêmes intarissables sources que sont Juliette, Allain Leprest, les Frères Jacques ou Michèle Bernard – la liste est longue.

Ce qui change, c’est le ton général. Son décor, la complice metteuse en scène Annik von Kaenel le tapisse de vieilleries piquées aux antiquaires – horloges, volets décatis, armoires vermoulues et autres coucous de seconde main. Les costumes, dont les teintes rappellent le drapeau français, comportent chacun un petit rappel en tissu de vichy. Son titre, enfin, renvoie aux jeux de société du début du XXe siècle, quand on jouait des graines de haricots secs en lieu de pièces d’argent. «La fin des haricots» désignait alors la fin de la partie – et le début du désespoir.

Dans une ambiance à mi-chemin entre Boris Vian et «La mélodie du bonheur», les couplets égrènent les sujets chers à nos voix de muscade genevoises: la haine de la haine, les filles pas féminines, les maris à trucider ou la joie d’être langue de pute. Entre deux prouesses de diction, elles convergent cependant sur le thème du temps, sa finitude, son irréversibilité. Avec, pour rendre grâce à celui qui nous reste: «C’est maintenant ou jamais qu’il faut s’aimer».
«La Fin des haricots» jusqu’au 28 mai au Théâtre Le Crève-Cœur, www.lecrevecoeur.ch
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