Des intrigues pour partir autour du monde

Camilla Läckberg quitte son port d'attache pour attaquer Stockholm
Dans l'impressionnante cargaison de la vague «Nordic noir» livrée depuis 2000 avec une régularité persistante, les romans de Camilla Läckberg ne surprennent plus depuis longtemps. Pour tout dire, la voir s'adonner à la publication de recettes de cuisine et de contes pour enfants semblait l'avoir détournée à jamais de la pure créativité littéraire. Et cet été, a priori, l'adrénaline jaillissait plutôt du côté du Suédois Mons Kallettoft et d'un héros qui dépote, à la fois odieux et fascinant («Bambi», Éd. Gallimard), ou de sa compatriote sacrée reine du polar, Camilla Grebe («L'ombre de la baleine», Éd Calmann Levy). Voir du provocateur danois Kasparov C. Nielsen («Les outrages», Éd. Calmann Levy). Ou du Finlandais Karo Hamalainen, directeur de revue chevronné qui signe un premier roman sous forme de meurtre parfait à la Hitchcock («Une soirée de toute cruauté», Éd. Actes Sud). Ou encore, retourner à Sandhamn avec une paresse assumée en compagnie de Viveca Sten («Dans l'ombre du paradis», Éd. Albin Michel) ou renouer avec Peter Hoeg, de retour aux affaires après «Smilla et l'Amour de la neige», son triomphe glacé dans les années 90.
Pourtant, se priver du dernier roman noir de miss Läckberg serait dommage. Loin de son duo héroïque Erica Falck et Patrik Hedström, la championne du best-seller largue ses maniérismes, tout comme la bourgade de Fjällbacka. Mieux: décidée à oublier les problèmes de couette conjugale ou de couche-culotte, rompant avec sa traditionnelle structure en flash-back qui alterne anecdote historique crapuleuse et fait divers contemporain, la quadragénaire aux 20 millions d'exemplaires écoulés dans 60 pays, se remet en question avec une radicalité salvatrice. Au premier volume de ce diptyque annoncé, «La cage dorée» distille un ton inédit, dénué de l'humour plan-plan auquel elle avait habitué en bonne copine de «chick-lit».
Adhérant à la cause féministe avec une férocité relayée par le mouvement #MeToo, la pasionaria se lance avec une furia vengeresse dans la croisade de Faye. Cette entrepreneuse surdouée sacrifia jadis sa carrière pour épouser un sémillant millionnaire en puissance. Fortune faite, les désillusions s'accumulent. Dans sa bulle à Stockholm, l'ex-belle s'est empâtée avec la maternité, compte avec des moues désœuvrées ses paires de Gucci et Louboutin entre une séance de yoga et la supervision du petit personnel. Son Don Juan ne tarde pas à la tromper, puis à l'humilier en l'évinçant de la sphère professionnelle qu'elle avait pourtant contribué à bâtir. À l'évidence, Camilla Läckberg, devenue femme de lettres en vue dans les milieux huppés, connaît à la perfection les usages des riches et célèbres. Ce déballage dans le détail des vanités contemporaines ne suffirait pas. Une méchante acidité achève de mordre et convaincre. À tester. Cécile Lecoultre «La cage dorée» Éd. Actes Sud, 352 p.
L'Amérique autrement
Thomas Harris, sociologue cannibale
En 1988, Thomas Harris publiait «Le silence des agneaux», thriller phénoménal qu'allait transcender le réalisateur Jonathan Demme, et ses stars Jodie Foster et Anthony Hopkins, cinq oscars à la clé. À 79 ans, l'ex-journaliste resté muet depuis 1976, sort de sa retraite. Dégagé de l'emprise d'Hannibal Lecter le cannibale, celui qui vit en reclus en Floride s'intéresse aux mouvements migratoires à travers une héroïne aussi émouvante que la fougueuse Clarice d'antan. Cette Colombienne, Cari Mora, jadis enfant-soldat chez les Farcs, bosse en clandestine dans le Miami Beach interlope. Passionnée par la faune locale, la belle tombe sur de drôles d'oiseaux lors d'une mission de gardiennage dans l'ancienne villa du trafiquant Escobar. Hans-Peter, sociopathe dealer d'organes, cannibale à ses heures, vicieux dangereux en général, cherche à extirper de la mer la demi-tonne d'or du légendaire criminel. Mais ce trésor est aussi convoité par d'autres malfrats. Les têtes tombent, le FBI tente de suivre. Harris glisse ici et là quelques notations poétiques mais ses goélands et balbuzards se brisent les ailes face à la monstruosité de la nature humaine. Surnage une photographie sociologique de l'Amérique de Donald Trump au racisme étanche à la compassion. «Cari Mora» Éd. Calmann Levy, 295 p.
William Burnett, caïd des lettrés
John Huston qui tira d'«Asphalt Jungle» un bijou de film noir avec Marilyn Monroe (photo), disait du «négligé» William Burnett (1899-1982) que ses romans «écrasants de réalité le mettaient en nage». Comme Hammett ou Simenon, l'écrivain conte la fin d'une ère. Dans son cas, la décrépitude de la métropole industrielle américaine, la pourriture du tissu politique, l'irruption des syndicats. Pourtant, ses personnages vont au bout d'eux-mêmes. Car dans un double mouvement, leur chute se voit torpillée par la régénérescence venue de l'immigration. Au contraire de ses pairs, Burnett refuse l'absurdité du monde. Sa philosophie passe par «le roman de gangsters», et tant pis si le genre est alors snobé par la critique américaine. «J'humanise des personnes dont les autres écrivains ne parlent pas», affirmait-il, comme le note en préface Benoît Tadié. L'anthologie propose des intégrales inédites, notamment la trilogie emblématique «Asphalt Jungle», «Little Men, Big World», «Vanity Row». Et surtout un journal inédit qui dévoile un féru de Virgile, Byron ou Fitzgerald sous l'expert en pulp. cle «Underworld» Éd. Quarto Gallimard, 1120 p.
Jessica Knowles, prêtresse des médias
Après le succès d'«American Girl», Jessica Knoll s'est offert une Porsche, une maison à Los Angeles, les services hebdomadaires d'une psychothérapeute et un avocat à demeure. Quitte à casser l'ambiance, l'ambitieuse New-Yorkaise, ex-rédactrice en chef du magazine «Cosmopolitan» , n'a jamais caché son aspiration à la richesse. Une même aisance décomplexée marque «La préférée», plongée pourtant morbide dans la télé-réalité américaine. Dans le show des «Entreprenantes», cinq battantes mènent le bal, jonglant avec une éclatante réussite économique à la barbe des mâles. Moins de 35 ans, parfois tatouée ou enrobée, banlieusarde ou black, lesbienne ou bi, végétarienne ou écolo, les pétroleuses s'affichent sans fard. L'assassinat de Brett, participante emblématique, ouvre cette chronique policière aux fausses allures rose bonbon et lui confère un éclairage blafard. Les coulisses révèlent des pratiques glauques, la production multipliant rumeurs et commérages, le quintet exposant ses failles dans des batailles d'ego sordides. Se vautrant dans le récit des trahisons sous couvert de mener l'enquête, la romancière Jessica Knoll joue à fond l'ambiguïté, engagée dans le jeu pourri qu'elle organise et tout aussi critique des pratiques audiovisuelles contemporaines. Une curiosité. cle «La préférée» Ed. Actes Sud, 448 p.
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