Art contemporainDepuis quarante ans, Joseph Farine défriche les talents d’ici et d’ailleurs
Dès son ouverture, Andata Ritorno s’est positionné comme un centre d’expérimentation artistique unique. À l’image de son fondateur.

Parmi les galeristes genevois, Joseph Farine fait figure d’exception. Cela fait quarante ans qu’il œuvre à promouvoir le travail d’artistes évoluant en dehors du circuit traditionnel du marché de l’art. «Je dis toujours aux artistes que si leur idée est de vendre beaucoup d’œuvres, ils sont à la mauvaise adresse», pointe le fondateur d’Andata Ritorno. Un centre d’art hybride, à mi-chemin entre une galerie d’art et un offspace, logé à deux pas de l’Usine. «Je me considère plutôt comme une petite Kunsthalle, une institution culturelle qui n’en a pas les moyens car la subvention reste faible.» 23’700 francs, telle est la somme qui, depuis 1988, permet à Joseph Farine de faire tourner son affaire. Sans toutefois se verser de salaire. C’est en tant qu’enseignant en histoire de l’art à l’école primaire qu’il gagnait sa vie jusqu’à l’âge de la retraite, arrivé il y a trois ans.
«Avec lui, on ne parle jamais d’argent, on parle d’art. À Genève, il est un peu comme le Jet d’eau, une institution. Il fait partie du patrimoine.»
«Avec lui, on ne parle jamais d’argent, on parle d’art. À Genève, il est un peu comme le Jet d’eau, une institution. Il fait partie du patrimoine», a commenté l’artiste genevois Gianni Motti, dont il a contribué à lancer la carrière. Et il n’est pas le seul. En quarante ans, Joseph Farine a accompli un travail remarquable de défricheur de talents comme Carmen Perrin, David Mach ou Qui Jie.
La beauté de l’éphémère
Sa spécialité? Les installations et la performance. Des formes d’art qui se fraient plus difficilement leur chemin dans une galerie traditionnelle où la finalité première est de vendre. En 1985, Guillaume Bijl transformait ainsi les lieux en salon-lavoir. En 1994, Gianni Motti démolissait le mur séparant l’espace d’exposition principal du dépôt, avant de revenir, vingt ans plus tard, pour annoncer qu’une œuvre avait été dissimulée dans la paroi lors de sa reconstruction.
«Vous regardez les choses différemment lorsque vous savez qu’elles ne sont pas là pour rester. Vous y prêtez une attention particulière.»
Plus récemment, en 2019, Ariane Monod y réalisait une fresque géante au fusain dont la beauté n’était que renforcée par son caractère éphémère. «Vous regardez les choses différemment lorsque vous savez qu’elles ne sont pas là pour rester. Vous y prêtez une attention particulière», commente Joseph Farine, qui n’a jamais hésité à tendre une main à des artistes en dehors du circuit, à l’image de Walter Schmid, un ancien graphiste installé à Vessy. «J’apprécie son éclectisme. Il ne se fige pas. Il est très à l’écoute de ce qui se passe, sans être tributaire de la mode», a commenté ce dernier.
Un livre événement
Pour célébrer les 40 ans d’Andata Ritorno, qui inscrivent Joseph Farine parmi les plus anciens galeristes genevois, aux côtés de Sonia Zannettacci, il vient d’éditer un livre revenant sur 110 expositions, sur 330 qui s’y sont déroulées, tout en retraçant l’histoire du développement de l’art contemporain à Genève, rédigé par la critique d’art Françoise-Hélène Brou. «La plus importante des actions de Joseph Farine […] fut probablement d’interposer une présence, une énergie et une volonté face à la confiscation de l’art contemporain par quelques mains du système marchand institutionnel», écrit-elle dans sa préface.
Comment, alors, choisit-il ses artistes? En faisant confiance à son goût. «L’histoire du XXe siècle est une question de ruptures, le pouvoir d’inventivité est de plus en plus restreint. Les meilleurs artistes sont ceux qui sont capables de donner une version différente du monde», conclut-il. En espérant que Joseph Farine puisse continuer à donner la sienne.
Andata Ritorno, 37, rue du Stand, Genève. www.andataritornolab.ch
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