«Dans sa tête, François Fillon est déjà président»
«Le Canard enchaîné» a révélé l'affaire Penelope Fillon. L'hebdomadaire satirique enquêtait depuis des mois sur le favori de la présidentielle. Explications d'un des barons du journal.

«François Fillon nous aide. Chaque fois qu'il parle, il nourrit l'affaire… Car à chaque fois, il ment.» Dans un bistrot aux accents du Cantal du centre de Paris, on partage une assiette avec Nicolas Brimo. Journaliste historique, entré en 1971 au Canard enchaîné, il en est aujourd'hui aussi l'administrateur. Nous sommes à deux pas de la célèbre rédaction. Plus que jamais crainte. Depuis dix jours, et deux éditions consécutives, le journal satirique feuilletonne avec les révélations sur l'emploi fictif présumé de l'épouse de l'ex-premier ministre François Fillon. Une méchante histoire d'argent qui pourrait fracasser la route toute tracée vers l'Elysée du vainqueur de la primaire des Républicains.
Avec le «Penelopegate», Le Canard enchaîné retrouve de sa superbe. C'est un coup à la hauteur de sa réputation, car depuis un siècle d'existence, ce journal a ébranlé plus d'une carrière et rectifié quelques destins nationaux. «On fait notre boulot: on enquête. Il faut rester humbles», tempère Nicolas Brimo (66 ans), avec ce mélange d'ironie et de cynisme des vieux briscards du journalisme, qui en ont vu d'autres. A titre personnel, il a sorti l'affaire Papon dans les années 80. «On fait notre boulot», répète-t-il. Notamment pour contredire le soupçon du dossier pourri glissé en catimini par les adversaires de Fillon. «Les sarkozystes et les juppéistes nous auraient filé les infos avant la primaire si cela venait d'eux», rigole l'intéressé.
La curieuse défense de Fillon
Reste que Nicolas Brimo – comme l'opinion publique et de nombreux confrères français – est surpris de la défense du champion des Républicains. En effet, Le Canard enchaîné enquête depuis de longs mois sur les activités de François Fillon. Les premiers papiers sur sa très lucrative société de conseil «2F» datent de novembre. «La législation française nous impose de contacter les personnes avant de les mettre en cause. Il savait très bien qu'on le cherchait», explique Nicolas Brimo. Pourtant, l'ex-premier ministre et son équipe ont multiplié les erreurs dans la gestion de cette crise.
Et si on essayait d'appréhender ce qui se passe dans la tête de ce politicien qui veut se faire élire en exigeant des sacrifices aux Français tout en ayant salarié sa famille pour un travail qu'il peine à justifier. «Avec la fin du quinquennat désastreux de François Hollande, il faut comprendre qu'on a eu, en France, Juppé président pendant deux ans et Fillon pendant deux mois. Dans sa tête, il est président», analyse Nicolas Brimo.
Et le journaliste de rappeler la précaution inculquée par son premier «réd chef» du Canard, il y a quarante ans: «Il ne faut jamais être embarrassé. Nous, on appelle les politiques pour leur parler d'une bêtise. Eux, ils savent toutes les bêtises qu'ils ont faites.» La validité de cette règle expliquerait, selon notre grognard, bien des réactions surprenantes.
La psyché de l'autoconvaincu
Revenons au «Penelopegate»! L'affaire s'aggrave aussi à cause de la communication contradictoire de son équipe. «Personne dans son entourage ne savait. François Fillon est un type secret qui n'a pas d'amis. Il y a une bande Sarkozy, il n'y a pas de bande Fillon. Ensuite, trait spécifique de notre classe politique, je pense qu'il s'est autoconvaincu qu'il était honnête parce qu'il faisait comme les autres», glisse Nicolas Brimo. Et de rajouter un dernier élément de compréhension à la psyché de François Fillon. «Il est profondément radin. Il ne paye jamais un café. Tout le monde le sait. Il a un rapport honteux à l'argent.»
Et de mettre en perspective que l'image de François Fillon, Monsieur Probité, a été construite dans le but d'éliminer lors de la primaire Nicolas Sarkozy, dont les multiples casseroles ont sans doute servi de paratonnerre à l'ex-premier ministre. «Quand François Fillon était à la tête du gouvernement, nous avions écrit qu'il avait refait de manière dispendieuse l'appartement de Matignon. Tout comme on avait signalé ses déplacements personnels avec le Falcon (ndlr: l'avion du gouvernement) pour rentrer chez lui dans la Sarthe. Ça coûtait une fortune aux contribuables. Mais ça n'a pas imprimé parce que tous les regards étaient braqués sur Nicolas Sarkozy.»
Une affaire fort simple
Alors pourquoi, cette fois, l'affaire a imprimé et trouvé un tel écho dans l'opinion publique? Parce que l'éternel numéro 2 est devenu numéro 1. «Et que l'affaire est simple. Fillon dit que sa femme travaille pour lui et reçoit de l'argent public pour cela. Mais personne n'a jamais vu son épouse travailler à ses côtés. De plus, il y a désormais les images de l'interview (lire ci-contre) où elle dit ne pas travailler pour son mari. Tout le monde peut comprendre. Avec les images, je pressens que ça va être terrible!» pense Nicolas Brimo.
Et l'administrateur du journal d'arborer un beau sourire. Le Canard enchaîné est en rupture de stock dans les kiosques: 400 000 exemplaires, soit 100 000 de plus qu'une semaine ordinaire, ont été vendus. Une des meilleures ventes de ces dernières années qui se rapproche de celles des diamants de Bokassa de Valéry Giscard d'Estaing en 1979, de la déclaration d'impôt de Jacques Chaban-Delmas en 1971 ou des logements de fonction d'Alain Juppé en 1995. Autant d'affaires marquantes qui ont ruiné les carrières de politiciens de droite.
Que de droite, d'ailleurs? «C'est l'éternel reproche. L'histoire du coiffeur de Hollande payé comme un ministre, ça ne l'a pas aidé tout de même…» fait semblant de s'emporter Nicolas Brimo. «C'est la théorie du complot. A ce propos, c'est tout de même François Fillon qui est allé voir le secrétaire général de l'Elysée pour lui demander d'accélérer les poursuites contre Nicolas Sarkozy. Dans mon souvenir, Sarko avait qualifié Fillon de faux-cul!»
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