Coronavirus et culture: une dernière tournée avant le couvre-feu
Festival de concerts en tout petit format, les Bars en Fête auront tenu deux soirs, avant de succomber eux aussi à la pandémie.

«And it burns, burns, burns the ring of fire.» Jeudi 12mars, 19h30, Café des Volontaires, à un jet de pierre de l'Usine. Banjo, basse, batterie, voix grave pour un rock costaud emprunté à Johnny Cash: Maxi Puch Rodeo Club est venu de Delémont pour jouer aux Bars en Fête. Prévu initialement dans le magasin Urgence Disk, le concert a été déplacé à la dernière minute. Ce soir-là, tandis que le festival Voix de Fête était déjà annulé, le «off» pouvait encore envisager une édition complète, jusqu'au 22mars. Cela parce que les lieux visités, quatorze adresses au total, ont des jauges si petites qu'ils échappent aux dernières restrictions sanitaires en matière de rassemblement. Du moins était-ce le cas jeudi. «L'équipe est en contact régulier avec les autorités sanitaires», prévenaient alors les organisateurs.
Sortir quand même. Est-ce raisonnable? Aux Volontaires, jeudi, il n'y avait pas foule. Vingt-cinq personnes au total, y compris les trois musiciens et le tenancier. Assis aux tables, perchés contre le zinc, les clients semblent comme dilués dans l'espace. «Salut, ça va?» Un geste de la main, un sourire. Pour la bise, on repassera. En attendant, on peut tout de même faire santé, du bout des verres. Alex, le responsable des Bars en Fête, frotte pour la énième fois ses mains avec une solution hydroalcoolique. Souci de santé, conseil de son médecin. Pour montrer l'exemple aussi. Mais les postillons quand on s'interpelle? «Je ne peux pas m'empêcher de vivre non plus.» Alors, comme une injonction sans parole, on garde nos distances. Alex, on l'interroge sur le tracing. «On l'annonce au début du concert: les clients sont invités, sur une base volontaire, à s'inscrire sur une liste.» C'est ça ou rien.
La musique en zone «off»
Maxi Puch Rodeo Club a lâché un dernier accord. Il est 20h. On quitte la place des Volontaires par la rue de la Coulouvrenière, direction Saint-Gervais pour le prochain des Bars en Fête sur la liste. Le long du Rhône, les premières terrasses du printemps. Des bribes de conversations résonnent entre les immeubles: «corona» sur toutes les lèvres. Blablabla et glouglouglou, comme disait ce compère mexicain retourné au pays il y a six mois de cela. Bien avant la pandémie. Est-ce que ça va, là-bas?
Tram 14, Bel-Air. Un homme jeune, a priori bien portant, déclare à ses comparses que, non, il n'a pas le droit de prendre les transports en commun. Rue des Étuves, enfin. Dans la vitrine d'un magasin de bandes dessinées, «La baronne du jazz» présente sa couverture au passant: la «vraie vie de légende de Pannonica de Koenigswarter», mécène de Thelonious Monk et Charlie Parker. Pannonica est née en 1913. Cinq ans plus tard, la grippe espagnole faisait 50millions de mort au moins à travers le monde. On songe à la souche, H1N1, toujours responsable d'une partie des grippes saisonnières, toujours mortelle.
Entre deux mondes
Y a-t-il encore moyen, assez d'envie, et de vie, pour chroniquer la culture genevoise? Au moins, évitons les formules pathétiques. Ce soir, ça rocke, ça boit – chacun dans son jus. Qui sait s'il y aura même un peu de cet esprit festif dont les Bars en Fête, année après année, se sont fait une spécialité. Remarquez, la programmation, cette fois, est telle en ce début de «off» que les musiques proposées n'incitent guère au badinage, plutôt à l'introspection. C'était prévu comme cela, de longue date. Par hasard, ça colle à l'ambiance générale.
Rue des Étuves, La Bretelle, habituellement bondée, flotte entre deux mondes. Sur la porte, les recommandations d'hygiène. À l'intérieur, trente âmes ni tout à fait tristes ni tout à fait gaies. Bien en dessous de la restriction cantonale limitant à cent personnes les réunions debout. Ça, c'était jeudi. «On est prêt. On attend tous la décision du Conseil fédéral», nous dit un membre de l'association en charge des lieux.
L'amour au temps du corona
On retrouve une amie. Une tape sur l'épaule, loin des bronches. «Je ne suis pas très bien…» Vraiment?! «J'angoisse.» C'était donc ça. «Mais quand tu as de l'herpès…» Au moins, ce n'est pas le corona. La discussion se poursuit. Surtout, ne pas éternuer. Ni ici. Ni ailleurs, dans les bus, au travail. Nulle part.
Il est 21h. «Quarantaine, quarantaine!» Le mot est sorti comme ça pendant le concert de Nicolas Jules. Était-ce lui ou le public? L'information s'est perdue. Était-ce de l'humour? Certainement. Le chanteur de rétorquer: «Vous faisiez plus jeune…» Puis: «Ça va bien se passer, ce n'est rien d'autre qu'un concert.» Et, non, ce n'est pas la cohue à La Bretelle. Nicolas Jules vient de Bruxelles, roule sa bosse depuis vingt-six ans, connaît bien les scènes genevoises, les bars en particulier. Guitare, chant, rock'n'roll sotto voce sur les cordes, voix susurrée. «Je veux des bandes d'assoiffés… plus fort que le boucan de mes pensées…» Il crie. «Pardon.» Faut-il faire doux pour apaiser l'anxiété, pour amadouer le virus? Point de strass sur la scène, mais des mots pesés, chargé de poésie et d'humour. «Mes pensées faisaient du gras tant j'avais mangé de cul.» Pas de stress dans le public – distance minimum entre les uns et les autres. Seuls les couples s'embrassent.
A leur tour, les Bars en fête annulent
Croisé une délégation réduite – deux personnes – du festival Voix de Fête. Émotions partagées. La semaine prochaine, il n'y aura rien à la salle communale de Plainpalais, rien au Chat Noir, rien à l'Alhambra. Et combien d'autres manifestations encore ont dû renoncer. C'est un deuil? Pour certains, oui. Vendredi à 18h, le bilan des victimes était de neuf morts en Suisse, et plus de mille cas diagnostiqués. Pour ceux qui tiennent debout, la mort dans l'âme, il faut renoncer à presque tout.
Vendredi 13 mars, dans l'après-midi. Annonce de la Confédération: «Toutes les écoles du pays sont fermées.» Mais encore: «Les restaurants, bars et discothèques ne peuvent pas accueillir plus de 50 personnes.» On appelle les Bars en Fête. La décision était inévitable: le festival annule les prochains concerts. Vendredi soir, il n'y aura pas de musique. On fait quoi, maintenant? Un dernier verre, s'il vous plaît. Demain, je saurai pourquoi j'ai mal à la tête.
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