Essai littéraireComment lire notre époque
en compagnie des romanciers
Au travers de 25 chefs-d’œuvre de la littérature, Mathieu Laine nous invite dans «La compagnie des voyants» à réfléchir sur ce que les romans nous disent des maux de notre époque.

«La compagnie des voyants», c’est celle des romans qui nous accompagnent dans la vie. Mathieu Laine y lit même des mises en garde, des conseils et des raisons de résister aux penchants nihilistes de notre époque. Car la littérature par la puissance évocatrice de l’émotion, des personnages et du récit parle vrai, sensible, proche.
En commentant 25 chefs-d’œuvre de la littérature, ce libéral convaincu souligne en quelque sorte leur vertu salvatrice. Pour cela, il suffit de les lire. Si c’est évident à propos d’Orwell et de sa «Ferme des animaux», une fable écrite en 1945, qui déroule l’enchaînement allant d’une révolte qui en appelle au peuple pour déboucher sur une trop prévisible tyrannie, on lira avec appétit ce que deux autres romans peu connus de deux grands écrivains, le Français Romain Gary et l’Américain Philip K. Dick, nous invitent à penser.
Le premier texte est «Lady L.», de Romain Gary, qui ouvre d’ailleurs cet ensemble de notes de lecture. De cette Anglaise de la haute société parvenue à s’extraire de sa condition misérable, l’auteur des «Promesses de l’aube» fait l’incarnation de la liberté. «En nos époques tentées de se ruer dans des bras prétendant incarner l’ordre et le peuple, la nation et la solidarité, alors que les plus fragiles en sortiraient floués, la pensée de Gary nous éveille», écrit Mathieu Laine. Détestation du radicalisme, rejet de la violence, amour de la liberté: récit et personnages de «Lady L.» incarnent cet «humanisme qui permet de résister au chant des sirènes de l’excès et du dogme».
Un manifeste pour la liberté
Le second roman décortiqué par Mathieu Laine est «La vérité avant-dernière», de l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick. Visionnaire, le romancier américain raconte dans une dystopie géopolitique comment une population accepte par principe de précaution de voir ses libertés restreintes pour se soumettre à «son protecteur», quand bien même celui-ci est une machine. Les fausses informations complotistes des réseaux, la peur qui instille la servitude volontaire décrite par La Boétie au XVIe siècle déjà, l’avènement de l’intelligence artificielle dans notre univers quotidien sont passés par là. Philip K. Dick l’avait pressenti.
Ce manifeste littéraire profondément humaniste convoque Golding et son roman «Sa Majesté des mouches» pour confronter la raison à la violence et l’homme sensible au «petit chef domptant nos passions tristes», «Les démons» de Dostoïevski pour déconstruire la figure du tyran, Melville et «Moby Dick» pour préciser encore les traits du capitaine délirant, «Le hussard sur le toit» pour décrire la peur comme une épidémie.
Admirateur du Péruvien Vargas Llosa, Mathieu Laine nous dit aussi que «La fête au bouc» rappelle que «le choix du bien n’est jamais celui de la facilité». On pourrait poursuivre à propos d’autres livres, qui tous font de la culture la planche de salut d’un monde en folie.
«Qu’ils soient gouvernés par l’hypocrisie séduisante des idéologies comme chez Gary, par la pulsion de violence comme chez Golding ou par la quête illuminée d’un absolu mortifère, comme chez Melville, ces dirigeants dont il faut tant se méfier nous leurrent au moyen d’un même ressort: la défiance envers l’autre et le goût du sang. Puisse la littérature nous aider à les identifier.»
On ressort de ce livre avec une furieuse envie d’aller voir, de lire ou relire ces grands livres, de réfléchir à ce qu’il nous dit, de le confronter à notre vie sociale et politique. Pour se rendre compte que cette voix de l’au-delà, celle de ces romanciers voyants, nous livre des vérités qui sont encore d’actualité dans leurs récits.
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