Cointrin dans le viseur des aérodromes
De Lyon à Payerne, toutes les pistes traquent le jet privé. Objectif? Arracher les vols - les emplois - que l'aéroport de Genève surchargé ne pourra satisfaire.

C'est l'histoire d'une fédération sportive de la région contactée il y a p eu, pour un sondage: si Genève venait à se fermer à l'aviation d'affaires, vous préféreriez mettre votre appareil à Payerne ou à Sion? L'anecdote, relayée par Eymeric Segard, patron de LunaJets à Meyrin, symbolise la grogne d'un secteur qui a fait escale il y a dix jours à Cointrin, à l'occasion du salon aéronautique EBACE. «Cette aviation fait partie de l'identité du canton, au même titre que ses gérants de fortune ou ses marchands de matières premières; faut-il ne plus les servir pour quelques charters de skieurs de plus?» interpelle Eymeric Segard.
En cause, toujours, l'encombrement de l'unique piste de 4 kilomètres de Cointrin, qui sert de tremplin vers l'ailleurs à toute la population de la région - France comprise. Tout en devant répondre aux exigences de ses millionnaires, multinationales et autres visiteurs officiels. Résultat pour s'immiscer entre deux Airbus oranges à leur guise, les sociétés accueillant leurs jets réservent des créneaux à qui mieux mieux, quitte à les annuler au dernier moment. Pagaille à l'aéroport, qui n'a pas le droit de sanctionner les abus. En 2015, 12 000 créneaux – une trentaine par jour – ont ainsi été gaspillés. Colère de Genève Aéroport. «L'an dernier la diminution a été sensible, nous avons haussé le ton au sein de nos rangs», calme Walter Chetcuti, président de l'Association genevoise de l'aviation d'affaires (AGAA).
La Broye apparaît désormais sur les radars des jets
Le casse-tête de Cointrin et de son système de réservation qui s'autosature n'a pas échappé aux aérodromes des alentours. Nombre d'entre eux rêvent d'attirer une partie de ces jets. Et les emplois qui vont avec. «On utilise toujours plus les aéroports voisins», admettait il y a deux mois l'un des responsables en Europe de NetJets, le géant américain du secteur.
«Nous offrons une forte complémentarité dans la maintenance, qui ne trouve plus de place à Genève»
Prenez la base aérienne de Payerne, ouverte à une activité civile depuis 2015. La commune et la structure chargée du développement économique de la Broye - la Coreb - ont investi 23 millions de francs dans l'Aéropôle, techno-parc dédié avant tout à la maintenance aéronautique. Son directeur général, Pierre-André Arm, a fait le tour des sociétés du secteur au salon EBACE, notamment genevoises, afin de les attirer sur ses deux hangars en construction. «Nous sommes ouverts à tout type de coopération et offrons une forte complémentarité dans la maintenance, qui ne trouve plus de place à Genève» vante Pierre-André Arm. «Ce n'est pas d'actualité, mais le jour où Payerne peut accroître ses heures d'ouverture, pourquoi pas», répond Xavier Wohlschlag, directeur opérationnel de l'aéroport. Des ambitions dans la mécanique aéronautique que caresse également l'aéroport de Sion, que l'armée aura définitivement quitté à la fin de l'année.

Actuellement seuls deux ou trois mouvements de jets sont enregistrés par jour à Payerne, mais les autorités militaires en autorisent 8400 par an - une vingtaine par jour. La compagnie genevoise Speedwings est déjà sur place et un poste de douane devrait être en place en 2019. Afin d'ouvrir la piste de la Broye au monde; et d'y permettre le plein de kérosène en duty-free. «Nous discutons pour obtenir les facilités douanières en vue de l'installation d'un port franc», ajoute Pierre-André Arm. Trop loin, la Broye? Pour un rendez-vous dans le quartier genevois des banques sûrement. Mais pour une visite aux maisons horlogères du massif du Jura?
Finis, les aérodromes à Papa, en Rhône-Alpes
De l'autre côté de la frontière, les pièces de l'échiquier ont également beaucoup bougé ces douze derniers mois. Fraîchement privatisés – sous la houlette d'un certain Emmanuel Macron – les aérodromes rhônalpins sont tombés aux mains de multinationales qui comptent bien en faire des machines à sous, façon parking publics ou autoroutes. «Avec les privatisations vient le temps de la concurrence», souffle, au sujet de Genève, un intermédiaire français très actif au salon EBACE.
«Avec les privatisations vient le temps de la concurrence»
A l'avant du bloc, Vinci, dont les 35 aéroports génèrent plus d'un milliard de recettes annuelles – le double de Cointrin. Le numéro un français de la construction a mis la main sur Lyon Saint-Exupéry l'été dernier - le doublé avec Nice lui a échappé - douchant les espoirs de Genève d'en devenir copropriétaire. Le groupe peut surtout mettre en avant sa piste de Lyon-Bron, entièrement dédiée à l'aviation d'affaires: pas de réservation pour atterrir ou décoller, taxes moitié moindres qu'à Genève… l'argumentation commerciale porte.
Annecy, le grand retour d'un petit aéroport satellite
Elle vaut aussi pour Grenoble et de Chambéry, que la multinationale veut transformer en porte des stations alpines françaises. «Des concurrents, vraiment? Certains week-ends d'hiver nous aurions bien aimé bien pouvoir leur confier un charter, mais évidemment le week-end Chambéry est déjà complet…», grince-t-on au sein de Genève Aéroport. Des soucis qui appartiennent au passé, selon un proche de Vinci: la piste savoyarde a obtenu cet hiver la levée des restrictions qui exigeaient le décollage dans une seule direction - conduisant un avion à en bloquer l'accès durant toute sa montée au-dessus du lac du Bourget. Sans compter que jeudi dernier, la compagnie SAS a annoncé l'ouverture d'une ligne directe à partir de Stockholm durant la saison de ski. Les 174 passagers de ses A320neo débarqueront dans un aérogare sur lequel plus de 2 millions d'euros de rénovations viennent d'être réalisés.
Plus proche de Genève, la piste d'Annecy-Meythet, qui a perdu sa dernière ligne régulière il y a quatre ans, fait partie d'Edeis depuis cet hiver. Cette structure regroupe les concessions de 19 aéroports régionaux rachetées l'an dernier au québécois SNC-Lavalin par la société de Jean-Luc Schnoebelen - un entrepreneur ayant fait fortune dans la construction - et des financiers. Objectif avoué? Doubler le chiffre d'affaires de ces infrastructures en cinq ans.
«Les passagers du Nord-Est de la Haute-Savoie délestent progressivement Genève pour Annecy»
Le responsable d'exploitation de la piste haut-savoyard constate «que les passagers basés dans le quart Nord-Est de la Haute-Savoie [ndlr: Evian-Chamonix-Annecy] délestent progressivement Genève pour Annecy». Une «relocalisation qui nous réjouit», admet Jérôme Pannetier. Comme à Payerne, l'ambition reste d'attirer des emplois de maintenance - un appel d'offres pour un hangar neuf a été lancé le 15 mai. «La mission fixée par les autorités reste de servir l'économie locale; elles nous imposent en outre de maîtriser notre développement par respect pour les riverains», ajoute le tempère le directeur cette structure de 120 personnes, dans laquelle la Haute-Savoie est en train d'investir 4,5 millions d'euros.
Déposes d'hélicos «à la sauvage» dans la campagne
La guerre des jets passe également par celle des hélicos, qui font la navette vers les stations huppées – Courchevel, Val d'Isère ou Megève côté français. «A Lyon, ils restent la bienvenue», décoche un conseiller du groupe Vinci. Façon de rappeler que, hormis les miettes laissées à Swiftcopter, les rotors se sont tus à Cointrin depuis les restrictions en matière de turbulences mises en place il y a trois ans.
Pour l'instant la clientèle fortunée, continue d'atterrir en jet à Genève, avant de rejoindre en berline les hélisurfaces d'Archamps, Annemasse ou Divonne. «Cela dépose aussi beaucoup à la sauvage, dans la campagne, des deux côtés de la frontière», souffle le directeur opérationnel de l'aéroport, Xavier Wohlschlag, dont le remplaçant arrive en fin d'année de l'aéroport de Zurich.
Déménagement à Cointrin... ou ailleurs?
Il devra lui aussi résoudre la quadrature du cercle. Faire cohabiter, sur une piste unique, jets et avions de ligne, tout en gérant les revendications des riverains… et les exigences des milieux économiques. Le joker espéré? Un basculement des avions d'affaires de l'autre côté de l'aéroport, versant Meyrin, sur une «aire nord» dont la piste en gazon vient d'être démantelée. En cas de feu vert des autorités en 2018, les travaux pourraient dès le début de la prochaine décennie.
Ce déménagement permettrait d'éviter aux jets le sort qui leur était promis par un rapport déposé sur la table de l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC) en 2014 déjà. Son titre? «Alternatives à l'Aéroport de Genève pour l'aviation générale et d'affaires» Sa conclusion? Les aérodromes «les plus adaptés» pour ce transfert sont Payerne, Annecy et Sion - ainsi que Lausanne - La Blécherette, Yverdon et Ecuvillens pour le marché de niches des petits avions à hélice de type PC-12. Chambéry figurait parmi les solutions «intéressantes».
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«Que les opérateurs de jets arrêtent de se torpiller entre eux à Cointrin»
Critiques des jets privés, œillades des aérodromes de la région… Xavier Wohlschlag, directeur des opérations de Genève Aéroport, contre-attaque.
L'économie lémanique souffrirait du manque d'accès à son aéroport par les jets d'affaires. Vrai?
Ces critiques nous apparaissent injustifiées., Surtout, le constat ne correspond pas du tout à la réalité. Genève Aéroport déploie beaucoup d'efforts pour conserver une place importante à l'aviation d'affaire qui représente 20% du total de nos mouvements, ce qui fait de nous le troisième aéroport de l'aviation d'affaires après Paris - Le Bourget et Nice. Nous parvenons même à maintenir l'événement EBACE [ndlr: la grand-messe de l'aviation d'affaires européenne] sur notre tarmac, au prix d'aménagements complexes, alors même que nous menons des chantiers gourmands en espace.
Mais quid de la saturation de la piste unique de Cointrin?
Mais de quoi parle-t-on? Pour être unique, notre piste n'en est pas moins l'une des plus longue d'Europe. Elle nous permet d'accommoder jusqu'à 640 mouvements d'aviation par jour. Or, nous opérons en moyenne 515 mouvements par jour. Ceci signifie qu'il reste plus d'une centaine de créneaux par jour pour l'aviation d'affaire. Nous leur en maintenons un minimum de quatre par tranche horaire, mais ce chiffre peut aller jusqu'à 20. Vous appelez cela de la saturation?
«Le trafic de jets à Cointrin peut aller jusqu'à 20 avions par heure. Vous appelez cela de la saturation?»
Les opérateurs pointent en réalité du doigt la gestion de ces réservations…
Ah! nous y voilà! Le problème vient toutefois moins du système que des abus qui en sont faits. Je m'explique: il y a quatre agents d'assistance à Genève Aéroport – TAG, Ruag, Jet Aviation et Privat'Air - qui centralisent une bonne partie de ces demandes d'utilisation de la piste. Ces derniers le confessent: ils procèdent à un certain nombre de réservations prophylactiques. Ceci signifie qu'ils réservent parfois une dizaine de «slots», à différentes heures de la journée, pour être sûrs d'en avoir un lorsque leur client en manifeste le désir. Du coup, les neuf autres réservations ne sont pas honorées. Ou annulées au dernier moment. Plus de la moitié des créneaux est ainsi dilapidée, ce qui représente des milliers de mouvements par an. C'est cela qui fait dire que Genève serait saturé, alors que c'est uniquement le fruit de ces dérives. Alors… que les opérateurs de jets arrêtent de se torpiller entre eux et il y a aura de la place pour tout le monde!
De quand datent ces abus?
Je dirais depuis le début de la crise de l'aviation d'affaires, il y a de cela 6 à 7 ans. Il est alors devenu crucial pour les opérateurs de ne pas perdre un seul client… quitte à lui promettre la lune en termes de flexibilité.
Pourquoi ne pas amender ces abus, ce que même les exploitants de jets demandent?
La loi nous l'interdit! Par ailleurs, ces derniers prennent grand soin d'effacer leur réservation dans le système juste assez tôt pour que l'avion ne soit pas attendu en vain par la tour de contrôle. Pour l'instant les seules mesures coercitives possibles ont consisté à raccourcir la période de réservation de 8 à 3 semaines avant l'arrivée. Depuis deux mois, il est en outre devenu nécessaire de dire précisément quand on redécollera avant d'arriver à Genève. A mon avis, sans ces abus, les demandes seraient honorées dans 95% des cas – avec, peut-être, 3% d'entre eux exigeant un changement d'horaire le même jour.
Comment fait-on ailleurs? Par exemple à Nice?
Nice dispose de deux pistes et connaît donc moins de problèmes. En revanche, pour eux, le problème c'est le parking et tout un système d'amendes est prévu pour l'encadrer.
«Le basculement des jets de l'autre côté de la piste, vers Meyrin, reste d'actualité»
Quid du plan visant à faire basculer les jets d'affaires de l'autre côté de la piste, vers Meyrin, où il y a plus de place? Enterré?
Absolument pas, cela reste d'actualité. Tout dépend de l'approbation par la Confédération et le canton de la fiche PSIA - le Plan sectoriel d'infrastructures aéronautiques - qui constitue la feuille de route pour le développement de l'aéroport pour les années à venir. Initialement attendue pour cet automne, la décision n'interviendra finalement pas avant 2018. En cas de feu vert, on espère bien que les travaux démarreront au début de la prochaine décennie.
P.-A.SA.
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