Il ne trouve plus de mots assez forts pour annoncer la «catastrophe climatique». À chaque rapport du GIEC, le ton monte d’un cran. «Folie», «alerte rouge pour l’humanité», «étouffement de la planète». Il dénonce les «mensonges» et le «greenwashing» des gouvernements et chefs d’entreprise. António Guterres, secrétaire général de l’ONU, s’est imposé en pape du climat, empruntant à la religion une rhétorique absolutiste. Sa stratégie: faire peur pour faire bouger la société civile, l’industrie et les gouvernements.
Il ne proteste même pas quand on lui dit qu’il joue au terroriste. Son catastrophisme est totalement assumé. Sauf que sa diatribe en superlatif laisse aussi froid que le climat est chaud. Qui l’écoute encore? Son indignation est attendue, normalisée, enregistrée, ignorée. Elle s’inscrit, de façon métronomique, dans les rapports du GIEC condamné à se répéter. Si la température monte de 1,5 degré ou plus en moyenne par rapport à l’ère préindustrielle, nous sommes tous cuits, tant les changements induits seront énormes. Les comportements individuels tout comme les politiques publiques ont commencé à changer. Mais bien trop lentement. Nous sommes à des années-lumière des mesures que l’urgence climatique commande de prendre. Se pose donc la question centrale du «marketing climat». Comment convaincre l’opinion publique, le politique et l’industrie qu’il est minuit et qu’à minuit une, il sera trop tard pour agir?
«Pour nous en Suisse, cela se traduira par un climat proche de celui de Naples.»
C’est là qu’intervient l’autre Antonio, Hodgers de nom, conseiller d’État par fonction, Vert par la couleur politique. Il a multiplié les interviews ces jours pour donner envie de lire son «brûlot» de 60’000 signes publié sous le titre: «Manifeste pour une écologie de l’espoir». Ses amis de parti ont failli s’étouffer en avalant leur tofu de travers. Pendant qu’Antonio, le mondial, n’en finit plus de durcir le discours à leur plus grand bonheur, voilà que l’Antonio local pose les plaques: «Je ne crois pas que quelques degrés de plus peuvent, sous nos latitudes, remettre fondamentalement en cause la possibilité d’avoir une vie heureuse et prospère. On sera encore loin de ce qui s’est passé lors des guerres ou des grandes dépressions économiques.»
Un rien désinvolte, peut-être, ce «quelques degrés de plus» alors qu’on négocie l’avenir au dixième de degré près. Dans un entretien avec «La Liberté», il précise: «Pour nous en Suisse, cela se traduira par un climat proche de celui de Naples, mais avec de plus grandes variations. Ce n’est pas invivable.» Oui, propos sortis de leur contexte. Mais, ouf, immense ouf! Il n’y a donc pas le feu au lac de Genève. On respire déjà mieux, du moins à nos nobles latitudes. Il y a de l’espoir.
Antonio Hodgers, qu’on se le dise, ne cède pas d’un millimètre sur la cause climatique.Il croit juste qu’il est plus stimulant pour passer à l’action d’offrir des perspectives de s’en sortir plutôt que de paniquer, le regard braqué sur la vague qui va tous nous engloutir.
Alors? La peur selon António G. ou l’espoir selon Antonio H., laquelle des deux émotions pousse plus efficacement à agir? La question, abordée par d’innombrables chercheurs, n’a rien d’inédit. En matière climatique, les réactions affectives sont déterminantes, nous apprennent-ils, davantage que l’appartenance partisane. Peur et culpabilité d’un côté, espoir et fierté de l’autre. Un professeur de psychologie de l’Université de Genève, auteur d’une publication sur le sujet en 2021, préconise un savant dosage des deux. Il serait donc judicieux que les deux Antonio accordent leurs slogans. Ça craint, mais il y a de l’espoir.
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Chronique – Climat: le choc entre les deux Antonio